Les actus

Hommage à Henri Sigayret (1934 - 2021)

Dimanche 18 juillet, dans l'après-midi, notre camarade Henri Sigayret s'est éteint paisiblement à l'âge de 87 ans à l'hôpital de Perpignan, accompagné par son fils Sonam. Plutôt que de s'attarder sur les larmes d'un départ inéluctable, prenons le temps d'honorer le parcours du personnage romanesque que fut le « Sig ».

De la Carrière à l'Oisans, révélation de la montagne pour un drôle de zigue !

Né le 27 avril 1934 à Banyuls-dels-Aspres près de Perpignan, Henri Sigayret passe son enfance entre Méditerranée et Canigou. Tout un programme...Fils d'enseignants, le jeune Sigayret a la bougeotte : les cadres qu'il préfère sont ceux qu'il se choisit. Cette énergie vitale et l'indépendance farouche qui le caractérisent ne vont pas tarder à trouver un moyen idéal pour s'exprimer. Au sortir de la seconde guerre mondiale qui imprime durablement en lui des marques « d'angoisse diffuse », la montée en grade du pater familias amène les Sigayret à déménager sur Grenoble.

C'est là, jeune adolescent palpant pour la première fois le rocher de la Carrière, l'école d'escalade alors en vogue de Grenoble, que sa vocation de grimpeur lui est révélée : « On entre en escalade comme on entre en religion » aimait-il à répéter, faisant sienne la maxime du Maestro Rébuffat. Commençant dès lors à travailler puis perfectionner ses gammes, il croise bientôt certains grands noms de l'époque comme Sergé Coupé, Pierre Girod ou Max Puissant, qui tous remarquent l'aisance du jeune homme.

Pour l'heure, encouragé par ses pairs à poursuivre sa passion en haute montagne, Sigayret dit « Sig » commence à se frotter aux parois de l'Oisans, passage initiatique obligé pour tout Grenoblois. Il écume alors les voies D/TD classiques de l'époque. A de rares exceptions près, il restera d'ailleurs toujours fidèle à ce massif. Alpinisme d'un autre temps, encordement à la taille, corde nylon, rares pitons : « La première année : Madier et Ouest à la Dibona, Sialouze arête sud en partant de La Bérarde par le col du Sélé avec retour de nuit le lendemain par le même itinéraire! Le col du Diable, considéré comme difficile à l'époque -crampons à dix pointes, piolet à lame droite- avec retour à Grenoble, de nuit, en vélo ! ». « Sig » finira par grimper en second avec Pierre Girod, grenoblois discret sorti major de sa promotion de guides en 1957. Deux caractères contrastés qui, deux années durant, iront de concert afin de satisfaire quelques-uns des appétits exploratoires de Girod, insatiable ouvreur du massif durant les années 1950. Rarement associé à des ouvertures, on trouve ainsi une poignée de voies estampillées Sigayret dans le massif, en particulier l'été 1954 :
- Pic Coolidge (3774m), face Nord-Ouest, 24 juin 1954, ouverture d'une ligne (500m/D) aboutissant aux « 3 gendarmes » de l'arête sud-ouest. « Ces deux voies sont hautes de 500m, en terrain mixte, d'ambiance « face nord Oisans » [...] » dixit la Chronique Alpine.
- Clocher des Écrins (3801m), face Nord (800m/D sup.), 2 août 1954. Cette ouverture sera citée dans un article du Dauphiné Libéré sous la plume de l'alpiniste-journaliste Claude Forget.
- Arête Ouest du même sommet le 10 septembre 1954 : « courte mais la plus belle sans doute » (300m/TD).

Lors d'une sortie guidée à la Traversée des Écrins où il lui sert une fois encore d'assistant, « Sig » tombe amoureux de la soeur de son premier de cordée...

La revanche professionnelle du « Fainéantas »

La vingtaine entamée, Sigayret désormais marié et père de trois garçons doit provisoirement mettre « sous scellés » sa passion de l'alpinisme. Girod, Coupé et « Sig » resteront toutefois les meilleurs amis du monde, ce jusqu'à ce que la faucheuse les sépare. Sonam, le fils d'Henri, né en 1994 de son mariage népalais, poursuivra d'ailleurs sa scolarité en France à partir de 2006 sous la houlette de la fille de Serge Coupé, Christine...
Mais retour à Grenoble : après une scolarité interrompue avant l'obtention du Bac, tout reste à faire pour « Sig » le « Bac moins deux », le « cancre de haut niveau », afin de prendre son envol ! Archétype d'autodidacte, « Sig » finit à force de travail par acquérir les connaissances nécessaires afin de maîtriser les calculs de structures béton puis à créer son propre cabinet d'ingénieur-conseil en la matière. Voire, il finira par se voir accepté à la Chambre des Ingénieurs Conseil de France, devenant même, un temps, technicien expert auprès de la Cour d'Appel de Grenoble ! Celui que son père avait surnommé « Fainéantas » a pris sa revanche sur la vie...Ultime pied de nez, il deviendra même enseignant-vacataire pendant quelques années à l'I.U.T. de Génie Civil de Saint-Martin d'Hères !

Durant cette période davantage tournée vers son foyer, la montagne n'est pas en reste. Dès qu'il le peut, « Sig » s'éclipse pour aller crapahuter en solitaire dans ses montagnes. Voire, leurs enfants ayant suffisamment grandi, les époux Sigayret reprennent-ils du bon temps seuls dans Belledonne et l'Oisans incontournable. Comme par exemple lors de cette ouverture à la Roche Faurio, citée dans la Chronique Alpine : le duo inaugure le 19 août 1962 une nouvelle voie dans la face Sud-Ouest qui domine le vallon de Bonnepierre (500m/AD), empruntant le couloir de gauche situé à l'aplomb du sommet et sort sur l'arête Ouest-Nord-Ouest. Le duo signera également vers 1965 une « jolie première » en face nord du Flambeau des Écrins (3551m), à laquelle « Sig » ajoutera une sortie directe quelques années plus tard. Quelques sorties glanées çà et là également avec Pierre Girod, dont une ouverture le 4 juillet 1967 au sommet Sud-Est (3627m) de la Roche d'Alvau par l'« Éperon du Génépi » (éperon Sud et arête Est, 500m, AD). C'est également durant l'une de leurs sorties communes en face Nord de la Roche d'Alvau que « Sig » contractera ses premières gelures...

L'Oisans refuge

Sorti d'un divorce « sans grandeur » au tournant des années 1970, « Sig » panse alors la plaie en reprenant d'arrache-pied du service côté amateurisme. Il écume à partir de là « tous les couloirs ou toutes les faces de glace que je n'avais pas gravis en dix pointes » dans son Oisans fétiche, ce dans un premier temps avec les amis de son fils, Jean Samet et Philippe Chevalier [NDLR : duo à l'origine de la première hivernale de la voie Fourastier-Madier en face nord du sommet Est du Râteau, du 27 au 30 décembre 1975]. A citer deux ouvertures en août 1973 : le 15 en face sud du Dôme de Neige des Écrins (4015m) avec Pierre Girod (AD) ; le 18 à la Montagne des Agneaux (3664m) avec son fils Pierre, voie mixte parcourant le triangle rocheux supportant l'arête Nord de la Calotte des Agneaux (600m/D inf.). « Sig » se tourne aussi vers les courses rocheuses « TD » à « TD sup » de l'époque : « les Savoyards » à la Dibona et « les Marseillais » au Grand Doigt en second d'Alain Loigerot, la mythique Directe sud à la Meije. Puis avec sa nouvelle compagne, Élisabeth Julliard, ce seront la « Directe Nord à la Pointe Nérot par la tranche verticale du glacier suspendu » ou « l'insipide sud-sud-est du Pic Gaspard ».
Par ailleurs, outre sa « trahison » d'une visite à l'envers du Mont Blanc, Sig payera aussi une visite à la Nord du Piz Badile, manquant de se voir « transformé en steak cuit à point » sur les arêtes sommitales.

En parallèle à ce redéploiement d'activité, une fois la belle saison terminée, « Sig » s'adonne aussi désormais à la passion, non moins engagée, de la chasse aux chamois. C'est à Marc Paucod, ancien camarade de grimpe rencontré à la Carrière, que « Sig » doit l'ajout de cette nouvelle dimension à son arc de montagnard. Cartouches plutôt cantonnées dans le chargeur que dans les chairs des quadrupèdes, « Sig » aura surtout aimé crapahuter en solitaire dans les montagnes dominant Villar-d'Arène à l'affût de rupicapra-rupicapra, bivouacs extatiques à la clé...Cette passion serait immortalisée en 1989 par le réalisateur Claude Andrieux dans son « Portrait de chasseur avec chamois ».

Entrée inopinée dans le monde de la haute altitude 

Mais retour une décennie auparavant : à la mi-quarantaine, « Sig » va subitement faire irruption dans le monde de la haute altitude : « Je commence [...] à l'âge où les autres arrêtent [...] ». 28 ans après Maurice Herzog et Louis Lachenal, le 30 avril 1979 à 17h « Sig » se voit promu troisième français au sommet de l'Annapurna I, 8091m, rejoint dans la foulée par son ami Yves Morin qui l'avait invité à se joindre à l'expédition. Lui, l'alpiniste-chasseur de chamois dont le niveau technique n'en fait pas un grimpeur d'exception parmi le groupe se découvre un talent en matière d'adaptation à la haute altitude. Ce beau succès est toutefois anéanti dans la foulée par la disparition tragique d'Yves Morin, ce dernier se tuant lors de la première descente à ski partielle de la montagne [NDLR : la première descente à ski intégrale de la « Déesse des Moissons » sera effectuée par les frères Slovènes Andre « Drejc » et Davorin « Davo » Karnicar le 29 avril 1995]. Paris-Match en fera ses choux gras, et voilà « Sig » propulsé en première page de Paris-Match !

« Au cours de celle-ci, mort à ski du plus grand ami que j'ai eu Yves Morin. Cette ascension qui bénéficie d'une publicité démesurée fait croire à beaucoup que je suis un grand alpiniste! Il n'en est rien, je ne revendique que le qualificatif de bon alpiniste ».

Pour l'anecdote, Maurice Herzog, rencontré quelques années plus tard, ne manifestera que du mépris vis-à-vis de ce « Soviet » ayant pactisé avec les bolcheviks le temps de quelques expéditions au Pamir ! Pas bégueule, Sig saurait faire la part des choses en défendant des années plus tard l'alpiniste Herzog lors de la controverse levée par la publication d' « Une affaire de cordée » de David Roberts.

Ce succès en demi-teinte lui ouvre en tout cas les portes d'une décennie d'expéditions en haute altitude, son statut de célibataire et chef d'entreprise lui permettant de s'absenter sur de longues périodes.

Une décennie d'expéditions à haute altitude

Du 29 juin au 3 juillet 1981, à 50 ans passés, « Sig » est au Pérou, faisant cordée avec le guide Britannique Alan Roberts. Le duo s'est mis dans le sillage des époux-guides Rolland (Martine et Jean-Jacques) à l'ouverture de l'éperon Ouest-Nord-Ouest du Chopicalqui (6354m/1000m/TD+). Des années plus tard, « Sig » restera toujours partagé entre la fierté de cette première et un moment de honte, lorsque son compagnon dût le pousser au train afin de franchir le crux en glace de la voie ! Lors de la même expédition, « Sig » gravit en acclimatation la voie « Bouchard » (arête Sud-Est, D+) au Pisco (5752m).

Trois décennies après ses débuts à la Carrière de Grenoble, « Sig » se voit honoré par l'intégration au Groupe de Haute Montagne (GHM), cerise sur la gâteau pour quelqu'un qui toute sa vie ne se considéra « que » bon alpiniste. Ainsi insiste-t-il, sur le tard, expression paradoxale d'un complexe d'infériorité classiquement répandu parmi les alpinistes, à la fois humbles et en besoin de reconnaissance : « Je l'ai écrit je ne me considère pas comme un grand alpiniste ou himalayiste mais je m'adaptais rapidement à l'altitude qui n'avait aucun effet sur mon moral et j'étais très résistant. Membre du G.H.M. Toutefois ».

Le printemps de l'année suivante voit « Sig » de retour dans le massif des Annapurnas, invité dans le cadre d'une expédition pyrénéenne, versant sanctuaire cette fois. L'objectif est la première ascension du Fang ou Varaha Shikhar (7647m), sommet satellite de l'Annapurna I, par son versant méridional. Le quintet, comprenant notamment Patrice de Bellefon et Pierre Ravier, butera à 6800m dans cette tentative originale matée par le mauvais temps. Cette voie « glaciaire sans grandes difficultés (PD) » ne sera réussie qu'après plusieurs tentatives l'automne 2007 par une équipe sud-coréenne.

L'été de la même année 1982, « Sig » découvre le Pamir avec la traversée du Pic Lénine (7134m) réalisée avec Jean Samet. Il retournera deux fois dans la région, empochant les ascensions du Pic Korjenevskaya (7105m) avec un petit groupe puis du Pic du Communisme (7495m) par la classique voie « Borotkine » (5A Russe) avec François Chéruy.
Au printemps 1983, « Sig » est le leader d'une expédition sur une autre des trois montagnes reines de l'himalayisme français au Népal, le Jannu ou Khumbhakarna (7711m). Lors de cette première expédition, Luc Jourjon, Jean-Noël Roche et Roger Fillon parviennent au sommet le 29 avril par le pilier Slovaque puis la portion supérieure de l'arête Ouest qui mène au sommet. Cette ligne d'ampleur, esthétique et technique (ensemble D/D+) avait déjà été tentée en 1981 jusqu'à 7600m par l'équipe Slovaque dirigée par Adam Blazej. Devant ce qui reste son plus beau succès à titre personnel, Luc Jourjon se souvient surtout de « Sig » comme d'un excellent organisateur. Parvenu sous le sommet de l'éperon à 6500m, ce dernier n'aura pas l'énergie de pousser davantage.

En 1984 « Sig » est de retour sur l'Annapurna I, leader d'une expédition visant à défricher en pionnier le problème complexe, austère et d'ampleur de la face Nord-Ouest. Son plus bel apport à l'histoire de l'himalayisme d'exploration ? L'objectif est de gravir le pilier logique rejoignant le « Pic Sans Nom », sommet baptisé par ses soins situé sur l'arête entre Fang et Annapurna I. « L'itinéraire [,] exposé aux avalanches dans sa partie basse réserve dans sa partie haute des passages D et T.D. d'une réelle beauté. Émouvante traversée d'un couloir toboggan se jetant dans un immense vide ». Le 23 avril, « Sig », son fils Pierre et Pemba Norbu Sherpa sont stoppés à 7200m par un large sérac, dernière difficulté avant le sommet de la face. En redescendant ils découvrent le site du camp 3 effacé par une coulée : la tente qu'occupaient Patrick Taglianut et Hervé Dumas a disparu dans le vide... L'expédition est terminée, les corps ne seront jamais retrouvés.

Quelques temps après, Messner en personne demande l'autorisation à « Sig » de tenter « sa » face. Accordée sans fioritures, celle-ci se soldera par la première - et seule ascension à ce jour en style alpin ! - de la face en 1985, selon une solution située dans le grand « couloir » à gauche du pilier. « Sig » se voit ainsi offert un encart pour s'exprimer dans l'ouvrage plus que classique du « King » relatant sa première ascension des 14 sommets de 8000m !

L'été 1985, intermède au Karakoram : « Sig » empoche l'ascension de la voie normale du Gasherbrum II (« voie classique, F ») le 2 août, son second - et dernier - sommet de 8000m, atteint à 52 ans en compagnie de Michel Berquet et de sa compagne Élisabeth Julliard.

L'automne de l'année suivante, « Sig » est de retour au pilier Nord-Ouest du Pic Sans Nom, leader d'une petite équipe de quatre. L'objectif est d'attaquer l'éperon par sa gauche, permettant une approche plus directe mais moins exposée que sa voisine. Au vu des risques objectifs, Hervé Bouvard renonce toutefois à l'expédition. Dans ce contexte de réduction des effectifs, Patrick Gabarrou s'associe en douce le partenariat de Pemba Norbu Sherpa, permettant au duo de s'adjuger la première ascension de l'éperon jusqu'au sommet du Pic Sans Nom, atteint le 8 octobre 1986. Deux ans plus tard, le 2 octobre 1988, les Tchécoslovaques Jindrich « Jindra » Martis et Josef « Pepino » Nezerka achèveront cette voie de l'éperon Nord-Ouest jusqu'au sommet de l'Annapurna I, signant la seconde - et dernière ascension complète à ce jour!- de la face Nord-Ouest.

Un an plus tard, seconde expédition au Jannu pour « Sig », toujours en tant que leader. Passée une tentative avortée par « l'éperon des jeunes », cap sur la voie « normale » des français. Le 6 novembre 1987, malgré un lever tardif et le départ d'un camp à 7000m un tantinet trop bas, Fred Valet et Michel Vincent parviennent in extremis au sommet dans des conditions venteuses et froides, tandis que « Sig » accompagné d'Élisabeth Julliard cale à 7400m. Les quatre grimpeurs s'en tireront avec des gelures partielles. « Sig » se consolera en ayant déjà pu franchir la très esthétique arête de la Dentelle...

Pour sa dernière expé, « Sig » et Élisabeth Julliard partiront gravir quelques sommets de 6000m en Bolivie, dont « sans doute une voie nouvelle (« D sup ») sur un pic innommé »...

La cinquantaine désormais bien entamée, « Sig » en a fini avec l'alpinisme à haute altitude. A ce jeu engagé, il aura classiquement connu plus de tentatives que de réussites, a fortiori en Himalaya... Ses connaissances en feront désormais un consultant recherché pour les chroniques himalayennes. On pourra ainsi voir apparaître le nom de Sigayret aux côtés de celui de Claude Deck dans la Chronique Alpine de « La Montagne et Alpinisme » ou celle des Annales du Groupe de Haute Montagne. De même Miss (Elizabeth) Hawley consultera-t-elle toujours Henri au sujet de l'Annapurna I et du Jannu - Henri pour qui la légendaire chroniqueuse himalayenne du Népal avait par ailleurs développé un petit béguin d'après son collaborateur Britannique Mike Cheney!

De Pangboche à Golfutar avec la « Sherpa Sig » family !

Pour l'heure, « Sig » se tourne désormais vers le trekking, en profitant pour aller visiter le pays de ses amis Sherpas rencontrés au fil de ses expéditions. Retombé piteusement entre temps à la case célibataire, c'est en 1990 au départ d'un de ces treks qu'il fait la connaissance d'une jeune Sherpani, Dawa Yangzi dite « Danzi », de trois décennies sa cadette ! Coup de foudre, le tout jeune retraité de 60 ans ne tarde pas à mettre les voiles : de Grenoble, cap sur Pangboche (3930m) dans le haut Khumbu ! L'ex-touriste occidental désormais sédentaire découvre à partir de cette époque la misère réelle du quotidien des Sherpas, celle-là même envers laquelle il n'aura de cesse de lutter désormais...Une décennie plus tard, l'investissement de « Sig » et Danzi à Pangboche a payé. Au début des années 2000, Yves Peysson, alors président du Groupe de Haute Montagne, note : « A l'image de Sir Hillary, membre d'honneur du G.H.M., Henri Sigayret mène également une action admirable dans d'autres villages du Khumbu ». Le parcours de vie de ce « Hillary français » ne passera pas inaperçu : sous l'égide du Ministère de la Coopération et de la Francophonie, pour l'ensemble de ses actions d'« ingénieur-conseil en structures, alpiniste de très haut niveau au Népal ; 40 ans d'activités professionnelles, sportives et humanitaires », « Sig » se voit élevé en 2002 au grade de Chevalier de la Légion d'honneur !

Mais entre-temps, de son perchoir himalayen « Sherpa Sig » a dû redescendre, chassé par un infarctus pris en charge in extremis. La petite famille s'installera en 2000 dans une maison neuve à Golfutar, quartier paisible situé dans la banlieue Nord de Katmandou. Petite famille qui ne tardera d'ailleurs pas à tripler de volume, accueillant les enfants de la belle-famille. La maison hébergera aussi régulièrement les alpinistes français de passage, qui se souviennent du patriarche à crinière blanche lové au milieu des siens. En 2008, alors que des élections historiques marquent la chute de la monarchie, le journaliste-cinéaste Christophe Raylat immortalise sur la pellicule le parcours atypique de celui que tous connaîtront désormais comme « Sherpa Sig ».

Une belle plume au service d'un esprit critique

Véritable « machine à écrire », auteur d'une vingtaine d'ouvrages, « Sig » avait le sens du verbe, le plaisir de la formule et du mot juste. Un talent cultivé toute sa vie qu'il n'abandonnera qu'au tout début de l'année 2021 ! Sont ainsi nés sous sa plume pléthore d'écrits, sur tous les supports possibles et imaginables : livres, plaquettes et articles, ces derniers publiés sur ses blogs ou dans les revues de montagne (« La Montagne et Alpinisme », revues du GHM...). Les domaines abordés par « Sig » ayant été tour à tour techniques (« Humour et calcul des points d'assurage »...), linguistiques (« Lexique et Toponymie en Himalaya du Népal »...), ethnologiques (« Sherpas bouddhistes », « Les bouddhismes »...), historiques (« Pour un himalayisme de qualité », « Expéditions françaises jusqu'en 2000 », « Herzog à l'Annapurna »...), romanesques (« Nouvelles abruptes », « Socrate »...), autobiographiques (incontournables « Journal d'un sahib au Népal » & « Sherpasig ») et polémiques (« Réflexions sur l'application des principes d'écologie à l'Himalaya », « Des Français au Népal », « Népal, 10 ans de guerre civile, pourquoi ? », ...).

Sur ce dernier point, leader charismatique et esprit sans concessions, « Sig » aura été à l'origine de « coups de gueule » francs et massifs qui, s'ils perdaient parfois de leur à-propos l'âge avançant, ne trahissaient jamais l'esprit d'un homme révolté, au sens le plus Camusien du terme. Que ce soit vis-à-vis des aficionados d'un Népal « gnan gnan » aveugles à sa misère (pourtant concluait-il amer sur le tard, « au final, ai-je eu un seul véritable ami parmi eux ? ») et des « tibétophiles béats » (ce dernier point sur lequel il s'accordait parfaitement avec la position de son camarade historien Pierre Chapoutot), de la formation des guides au Népal pour laquelle il critiqua l'investissement de l'ENSA, ou enfin de toute forme de justification philanthrope afin de légitimer un quelconque but d'expédition.... « Sig » n'aura ainsi jamais mâché ses mots ni hésité à nager à contre-courant des idées reçues, des modes et des pouvoirs. Le zest de poil à gratter nécessaire à tout milieu humain pour ne pas s'encroûter ?

Un nécessaire retour aux sources ?

Après plusieurs changements de caps radicaux qui avaient durement ponctué sa vie personnelle, en 2015 « Sig » revenait seul au pays qui l'avait vu naître... Désormais séparé de sa famille népalaise, « Sig » le grand-père n'avait de cesse de rechercher la compagnie. Dès lors toujours enthousiaste et volontiers rieur, il aimait se laisser aller à partager en toute simplicité l'intimité de son drôle de parcours de vie.

De la sorte naîtrait « Sherpasig » en 2016, autobiographie au style unique de son narrateur ! Puis l'année 2020, plusieurs de ses amis se retrouveront à Banyuls-dels-Aspres afin de célébrer son jubilé. Fidèle à lui-même, à la fois sérieux, ému et rieur quoique toujours théâtral, Henri le charismatique avait promené son audience dans les ruelles de son village natal, de la maison familiale au cimetière de ses ancêtres.

Dimanche 18 juillet, « Sig » devenu « Sherpasig » a finalement rejoint ses amis Coupé, Girod et tant d'autres. Puis son corps a été inhumé dans l'intimité. Ses cendres seront remises à sa femme, Danzi, qui les dispersera sur les pentes de l'Himalaya.

Adieu Henri.


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Actu proposée par Rodolphe POPIER

Mise en ligne le mercredi 04 août 2021 à 16:22:23

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