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Hommage à Sir Doug Scott (1941-2020)

L'hommage de Claude Gardien

Doug Scott nous a quittés, et son départ est comme une fissure dans le monolithisme de notre passion. Il était un de ces rares alpinistes à avoir porté le style alpin en Himalaya au rang d'un art de vivre. Un de ceux aussi, qui l'ont, dès les années 1980, porté à un niveau tel qu'il a été bien difficile à leurs successeurs de le dépasser. Ces années-là, ces hommes-là, pour nous, on été porteurs d'un nouvel âge d'or pour l'alpinisme.

Doug a fait ses premières armes de grimpeur-voyageur dans les années 60 au Tchad, en Turquie, en Hindu Kuch. Petites expés de copains, camions surchargés sur les routes de l'Afgha... La performance est là, très vite. En 1972, on découvre une montagne fabuleuse de l'Arctique : le Mont Asgard, dans les colonnes du fameux magazine britannique Mountain, recherché sur le Continent par les fans d'escalade et d'alpinisme modernes. C'est la première fois que le nom de Doug Scott passe la Manche... Son look très « John Lennon » se charge d'imprimer l'imaginaire des lecteurs-alpinistes.

C'est l'époque de la deuxième phase d'exploration de l'Himalaya : celle des faces les plus raides : face sud de l'Annapurna et du Nanga Parbat, pilier ouest du Makalu. En ligne de mire, la face SW de l'Everest. De nombreuses tentatives s'y consacrent. En 1975, une cordée fabuleuse se dresse au sommet, après une longue journée d'escalade : Doug Scott et Dougal Haston. Les photos du sommet, au crépuscule, montrent le bonheur des deux hommes qui ont dégrafé leur masque à oxygène, laissant voir un grand sourire et un flegme tout britannique, qui leur sera utile pour la nuit suivante : un bivouac glacial vers 8700 m.

Alors que ce qui peut apparaître comme le nec plus ultra de l'époque est enfin réglé, Messner et Habeler ouvrent une ère nouvelle au Gasherbrum 1, 8068 m : l'ouverture d'une voie à deux, d'une traite. Le style alpin en altitude est posé. Il mettra du temps à s'imposer, mais Doug Scott en sera un des prophètes. Dès 1976, avec Dougal Haston, il ouvre trace une nouvelle voie dans l'immense face sud de Denali, 6195 m, dans des conditions précaires.

L'année suivante, il est à l'Ogre (Baintha Brakk), 7285 m, au Karakoram. Sommet difficile, avec un sommet rocheux. Il fait cordée avec Chris Bonington. Lors d'un rappel, sous le sommet, il pendule, heurte le rocher. Deux chevilles cassées... Les deux hommes organisent une extraordinaire retraite. Doug doit parfois ramper à quatre pattes dans la neige... Le mauvais temps s'en mêle, Chris se brise les côtes. Il leur faut huit jours pour retrouver leur base, avec l'aide de Mo Antoine et Clive Rowland.

Les succès se succèdent : 1979 : une bonne année, titre-t-il dans son livre Face à l'Himalaya. Nouvelle voies au Kangchenjunga, au Kusum Kanguru et au Nuptse, avec notamment le regretté Georges Bettembourg.

Difficile de citer toutes ses ascensions, un choix subjectif s'arrêtera à l'extraordinaire piler est du Shivling (1981), deux tentatives à l'immense arête sud-est du Makalu, d'où il rejoint le haut de la face est. À chaque fois il monte très haut, à plus de 8000 mètres. Entre ces tentatives, en 1982, il s'offre un très beau coup, à la face sud du Shishapangma, avec Alex McIntyre et Roger Baxter-Jones, deux jeunes déjà bien amarinés à l'altitude en style alpin, en particulier au Jannu en 1978.

À toutes ces aventures, il faut ajouter de nombreux sommet de 6000 ou 7000 m, gravis pour l'acclimatation ou pour le plaisir. C'est que les expéditions de Doug n'ont pas changé depuis le début des années 60 : on part en bande, longtemps. On voyage, et une fois sur place, chacun fait son choix... Tout un style... alpin, bien sûr, mais pas seulement.

On comprend que Doug Scott devient une figure tutélaire, aux côtés de Reinhold Messner ou Voytek Kurtyka. En 2008, le Piolet d'or joue relâche : il subit un bon lifting, impose le style alpin comme la règle, et passe désormais au pluriel, pour atténuer leur côté « compétition », et aussi pour répondre à la critique du prix unique, qui passe forcément à côté de très belles réalisations. Doug Scott accepte d'être le premier président du jury de ces premiers « Piolets d'or » . Sa présence cautionne la nouvelle formule de façon inespérée, et emporte l'adhésion du monde anglo-saxon. Ceux qui ne le connaissent pas découvrent un homme simple, sympathique et rigoureux, à l'allure tranquille et élégante d'un gentleman-farmer. Tranquille, Doug l'est particulièrement en montagne : il y prend toujours son temps. Et il vient avec un bonus : le prix Spirit of Mountaineering, qui récompense des alpinistes ayant renoncé à leur ascension pour porter secours à d'autres alpinistes. En 2009, il distingue Simon Anthamatten et Ueli Steck, qui sont partis à la rescousse de Hori Calibasanu et Iñaki Ochoa coincés à plus de 7000 mètres sur l'arête est de l'Annapurna. L'humain a pris possession des POs.

Doug Scott, dans sa jeunesse, avait snobé un prix décerné au Royaume Uni. Il acceptera le troisième Piolet d'or Carrière en 2011, après Walter Bonatti et Reinhold Messner. Un magnifique cadeau pour ce prix encore neuf. À cette époque, Doug consacre son énergie à Community Action Nepal, son organisation d'aide aux Népalais. Sur scène, il lâchera quelques confidences sur l'engagement que peut exiger le style alpin sur des itinéraires difficiles à haute altitude : « Pour réussir, il faut s'oublier »... En 2015, Doug accueillera Chris Bonington parmi cette prestigieuse famille des Piolets d'or Carrière. L'occasion de reformer sur scène la cordée de l'Ogre. Pour les spectateurs, ce fut un grand moment d'émotion de voir ces deux grands bonhommes évoquer l'incroyable épopée à laquelle ils avaient survécu, 38 ans auparavant...

C'est un géant de l'alpinisme et de l'aventure, un pilier de notre communauté qui est parti.

 

 





Actu proposée par Claude GARDIEN

Mise en ligne le mardi 08 décembre 2020 à 15:05:38

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