La Tribune du G.H.M.

Hubert Giot écrit sur Jean-Claude Marmier

Je ne pensais pas un jour avoir à écrire ce texte pour Jean Claude, je nous voyais plutôt vieillir tranquillement ensemble faisant quelques footing dans le Veyrier au dessus du lac d'Annecy ou nous rencontrant au détour d'un Trail. Il en est autrement.

Nos 10 ans passés ensemble, presque au jour le jour, au GMHM, souvent dans la même tente -perchée sur des endroits improbables-, ont créés des liens, même si ceux-ci étaient parfois ponctués de coups de gueule forts en décibels. Mais c'était comme ça avec Jean Claude. Il ne disait jamais « c'est bien » mais plutôt « c'est pas mal », ou ne disait rien. Mais « rien », était proche de « pas mal ». Par contre ses têtes de turc avaient droit à un traitement spécial, haut en couleur, qui se terminait immanquablement par : « je vais vous muter à Plouc-le-Zout ». Marmier, Marmuche pour les intimes, on l'aimait ou on ne l'aimait pas.

Et puis après les coups durs ou des courses marquantes, nous nous retrouvions chez lui avec Suzanne et Jimmy le chien, ou chez Philippo, pour des agapes arrosées ponctuées de chansons paillardes dont il avait le secret.

Sorti Lieutenant de Saint-Cyr en 65 où il ne passait, déjà, pas inaperçu, il arrivait après quelques pérégrinations au 159 RIA à Briançon et c'est là que le l'ai rencontré pour la première fois en 1973. Jeune sous-officier un peu rebelle, j'ai très vite compris qu'avec ce personnage il fallait faire profil bas. Fort en gueule, auréolé d'un palmarès en montagne conséquent, (voie des plaques à l'Ailefroide en Hiver, Face Nord de la Meije en hiver, hivernale à l'éperon Croz aux Grandes-Jorasses), dormant sur son balcon en hiver pour s'aguerrir au froid, il impressionnait ; et c'est plus tard que je me suis aperçu que derrière cette façade se cachait un être particulièrement sensible et fidèle en amitié.

En 1976 il recevait la mission de la part du général Laurens de créer un groupe d'alpinistes capables de rivaliser avec les meilleurs, et de porter ainsi au plus haut les couleurs des troupes alpines en particulier et de l'Armée de Terre en général.

Le modus operandi pour le choix des candidats était simple, pas de tests physiques, psychotechniques ou autres. Rassemblement sur le bassin d'Argentière. La voix portait haut et fort « Messieurs rendez-vous de l'autre côté au refuge du Couvercle ». Devant les candidats dépités en knickers, veste de treillis et chaussures en cuir, les Faces Nord des Courtes et des Droites donnèrent à certains le mal des rimayes et la sélection se fit naturellement. Il fera la même chose quelques mois plus tard dans le Verdon où le challenge était soit, de faire les voies les plus difficiles, soit d'ouvrir un nouvel itinéraire.

Et puis en 78 après avoir écumé les parois européennes avec ses bébés, les bébés c'étaient nous, son attention se tournait vers le Groenland, qui pour lui, était une marche vers l'Himalaya, car il avait déjà sa petite idée derrière la tête.

Dès la rentrée sur le territoire, en guise de stage de récupération active, nous partions pour la directissime de la face Nord de l'Eiger en hiver, 30 jours dans ce décor vertical finiraient, selon lui, notre formation en « rusticité ».

Doucement nous apprenions à le connaître et à nous attacher à ce grand gaillard au physique et au mental hors norme. Une amitié qui selon les scenarii se transformait parfois en haine, comme celle que l'on peut avoir envers un père, tant il nous demandait, mais il était toujours là quand il y avait des problèmes notamment familiaux. Il n'hésitait pas à nous mettre en congés forcés pour trouver les solutions et Suzanne veillait à ce que ce fût fait. La famille c'était sacré et il faisait venir épouses et enfants, dans un chalet aux Houches pendant que les garçons étaient à l'intégrale de Peuterey en hiver.

Au Mont Huntington en Alaska il sauvait la vie à tout le Groupe. Nous étions 8 en solo, 400 m au dessus du glacier pour rejoindre l'arête. 50 m avant de l'atteindre il faisait stopper tout le monde et nous demandait de fixer des broches à glace et de nous encorder. Il fit alors quelques mètres et toute la pente de dérobait sous nos pieds, nous laissant pendus à nos broches. Nous avions appris ce jour là ce que voulait dire le mot intuition.

Puis vint le temps de la période Himalayenne où hormis notre défaite à l'Everest, si près du sommet, il nous emmenait au Kamet, à l'Indrassan, au Kabru Dôme et au Gyachungkang. Au campement, sa musique favorite était l'opéra et ses lectures de chevet étaient le nouveau et l'ancien testament. Il me disait d'ailleurs, à propos de ce dernier : « c'est le meilleur roman policier que j'ai lu ». Conformément à ses habitudes, il économisait les porteurs locaux, privilégiant les membres du groupe, et il n'était pas rare que nous transportions des charges de 35 kg. Certains s'en souviennent encore.

Enfin sa période militaire se terminait également sur un coup de gueule, et il restait dans l'esprit de tous, civils et militaires, le colonel Marmier.

Sa période civile fut un long apprentissage où il se rendait compte à ses dépends que le monde des affaires était cruel : les grades étaient invisibles, les petits chefs nombreux et les faussaires étaient légions. Mais il apprenait vite.

Il prenait tout à tour la direction du Groupe de Haute Montagne –instance internationale de l'alpinisme-, où il créait le Piolet d'Or, puis la présidence du comité de l'Himalaya et des Expéditions Lointaines, et enfin la présidence de la FFME. Il ne passait pas inaperçu, ses notions de pédagogie étaient dans un tiroir et dans le monde civil il faut tout expliquer. Lui, voulait faire avancer les choses à sa main. Cela entrainait immanquablement quelques conflits, mais en fin du compte cela se montrait très efficace. Et puis récemment il se tournait vers le monde du Trail. Membre influent de l'organisation de l'UTMB, traceur invétéré, il se transformait en baroudeur des sentiers. Après avoir gouté aux sommets, il faut savoir apprécier les vallées et il ne s'en privait pas. Avec sa femme Natacha il enchaînait les courses, dernièrement l'Ultra Tour du Beaufortain.

J'en termine avec ce panégyrique qui n'est pas pour moi un éloge forcé, mais une reconnaissance naturelle. Si j'en suis arrivé là aujourd'hui, c'est en grande partie grâce à lui, si le groupe en est arrivé là, c'est grâce à lui car il était impossible de faire moins, si certaines instances civiles de la montagne en sont là, c'est également grâce à son impulsion.

J'aurai plaisir à me souvenir d'un Jean Claude courageux et généreux, d'un Marmuche exigeant avec nous et dur avec lui même, d'un Marmier novateur et responsable.

Je terminerai par ses propres écrits :

« En demandant à ses pratiquants un engagement physique et moral total, la montagne de haute difficulté est une activité à risques, sans concession avec quelconque facilité. Participant à la conquête des itinéraires les plus engagés et les plus difficiles, le GMHM a fait siennes ces dures règles, tout en accueillant en son sein les meilleurs jeunes alpinistes du moment, leur offrant une opportunité incomparable d'épanouir leur talent. Aujourd'hui la route est tracée et d'autres sauront relever le défi pour aller toujours plus loin, plus haut, dans le monde sans cesse renouvelé de la montagne. »

Jean-Claude nous avons partagé avec toi les joies d'un sommet où les peines d'un échec, puis tu as rompu la corde qui te liait à ta famille et à tes amis. Porté par le vent tu vas rejoindre les fontaines d'étoiles, grandir dans le soleil, et nous préparer un tracé dont tu as le secret.

Nous tes amis te remercions pour ce que tu as été et pour ce que tu nous as légué.

A bientôt mon Colonel.

Hubert Giot

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Article proposé par Hubert GIOT
Mis en ligne le samedi 26 juillet 2014 à 19:37:44

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