Prix et Trophées par André Mailleux
Alors que les projecteurs viennent de s'éteindre, et que les prix consacrant les meilleures performances alpines de l'année 98 - Piolet d'Or/GHM et Cristal/FFME - viennent d'être remis, plusieurs discussions avec des grimpeurs de tous âges et de tous horizons m'ont conduit à tracer sur le papier quelques réflexions sur la portée de ces trophées.
Nés chacun au début des années 90, bien rodés et appréciés de tous, ces évènements constituent des moments importants et attendus dans notre communauté. L'affluence toujours plus grande démontre à l'évidence qu'il y a une audience bienveillante, même si quelques rabat-joies trouveront toujours à redire sur ce qu'il considère comme l'octroi d'une sucette, dont les alpinistes peuvent finalement très bien se passer ! S'il est évident que le Piolet d'Or et le Cristal sont nés dans une période où l'image de l'alpiniste véhiculée dans la société était une dimension importante de sa vie, voire de sa carrière, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit à mon sens principalement d'une reconnaissance amicale de ses pairs, et d'une bonne occasion de faire la fête. Ceci-dit, j'ai deux interrogations: doit-on récompenser une ascension au cours de laquelle un ou plusieurs membres ont trouvé la mort, et est-il judicieux de placer si tôt de jeunes talents sur la scène médiatique, au risque de les griser prématurément et de leur faire porter sur les épaules une pression psychologique trop forte ?
Dans le premier cas, si l'objectif atteint constitue la raison de la reconnaissance, la disparition d'un ou plusieurs membres de l'expédition, aussi dramatique puisse-t-elle être, ne constitue pas une raison pour lui refuser l'attribution d'un prix. Cette position est défendable si l'on considère que le risque zéro n'existe pas en montagne et particulièrement dans ce genre d'aventure où les limites humaines sont poussées à leurs extrémités, et qu'il ne sert de toute façon à rien de se voiler la face. Au moins peut-on ainsi honorer les disparus ! Mais l'octroi d'un prix n'est pas un geste anodin, dans la mesure où son caractère symbolique conduit à établir des repères, et implicitement des échelles de valeur avec risque de surenchère. Je pense qu'il n'est pas possible de trancher clairement dans ce débat, car ceux qui pratiquent l'alpinisme avec un engagement extrême savent combien la marge est faible entre succès et échec. Sans faire l'apologie de la mort, il faut certainement définir plus clairement quelles doivent être les règles du jeu, pour éviter les ambiguïtés et ne pas prêter le flanc à des critiques dont les échos ne pourraient être que ravageurs dans un contexte social résolument opposé à la notion de responsabilité acceptée face au risque. Le Piolet d'Or fera l'objet d'une réflexion en ce sens avant sa prochaine édition.
Concernant le fait d'honorer de très jeunes talents en alpinisme, si l'intention première est parfaitement louable, il me semble qu'elle peut comporter des effets pervers. En effet, en aucun cas, il n'est possible d'assimiler un tel prix à une médaille comme il en existe en ski. Il est normal que le fait d'attirer des jeunes vers la pratique alpine de haute difficulté soit une préoccupation des instances concernées, mais la récompense sous forme de trophée constitue-t-elle un élément motivant pour cela ? Personnellement, je ne le pense pas, sachant que l'expérience acquise dans la durée constitue un capital aussi important que l'éclat d'une liste de courses exceptionnelle. D'ailleurs, il n'est pas anodin de constater que l'admission au GHM est conditionnée à l'exercice d'une pratique dépassant quatre années au plus haut niveau ! La passion, la disponibilité, la force physique, et une certaine forme d'insouciance - nous y sommes tous passés - se conjuguent pour laisser croire que toutes les difficultés et tous les objectifs audacieux sont à portée de main pour les jeunes alpinistes. Une distinction précoce me semble donc difficilement compatible avec l'humilité qui doit accompagner la pratique alpine, et qui conduit souvent à l'accomplissement de réels exploits.
Question ouverte, où la conviction personnelle de chacun est engagée, les conditions de remise d'un prix ne doivent pas conduire à des excès ou des illusions, d'autant que l'image que l'alpiniste se fait de lui-même, et la manière dont elle se forge dans le temps, sont sont des composantes souvent essentielles à l'affirmation de sa personnalité, et à terme de ses réalisations.
André Mailleux
Article proposé par André MAILLEUX
Mis en ligne le lundi 31 janvier 2011 à 13:18:52