La Tribune du G.H.M.

« CLIFFHANGER » & Les révélations de Sylvester Stallone sur John Harlin

à Pierre Mazeaud
à Kurt Albert, Wolfgang Güllich et Patrick Edlinger, les monstres sacrés du libre.

Avertissement

Nous vivons tous confinés, loin des falaises et des montagnes, éloignées à bien plus d'un kilomètre de notre domicile. C'est drôle, la semaine dernière j'étais verbalisé à Connelles par un passant qui m'a dénoncé. J'ai eu une amende. Visiblement ceux qui m'ont verbalisé n'étaient pas du PGHM.

L'année dernière Pierre Mazeaud s'est exprimé à l'ENSA au sujet des restrictions concernant l'accès au Mont Blanc. Il a dit : « La Montagne est le domaine de la Liberté ». J'ai fait un article sur ce sujet sur mon blog franco-polonais. Il s'appelle : « Invitation à la rébellion ».

Mon texte ne raconte pas le film, il rappelle uniquement la présence de certains grimpeurs de grande classe et les propos inédits de Sylvester Stallone. Un sujet adéquat pour temps de confinement!

RAPPEL

« Cliffhanger » est un film américain, réalisé par Renny Harlin, produit par Sylvester Stallone. Il sort en 1993. Son budget avoisine les 250 millions de dollars. Son réalisateur, Renny Harlin est un homonyme de John Harlin II, bien qu'il n'ait aucun lien familial avec le célèbre alpiniste américain.

C'est un film d'action. Le rôle principal est joué par Sylvester Stallone, ce film lui permettant un retour au cinéma après quelques moments de faiblesse. Au Québec le film est sorti sous le titre :  « La falaise de la mort. » Son titre complet est : « Cliffhanger, traque au sommet ». Il est présenté hors compétition en avant-première au Festival de Cannes. Le tournage de ce film est largement raconté par un journaliste italien, Marco Scolaris (présent sur le plateau du tournage), dans le numéro 64 de Vertical (décembre 1993).

SYNOPSIS

Gabirel « Gabe » Walker, alpiniste, guide et sauveteur dans les Rocheuses est un alpiniste chevronné. Suite à un accident mortel dont il se sent responsable, il se retire de la vie professionnelle. Quelques mois plus tard, un avion fédéral transportant des fonds monétaires est attaqué et détourné par des malfaiteurs. Il s'écrase dans les montagnes. Hal, un compagnon de cordée de Gabe est sur les lieux du crash et est pris en otage par la bande de criminels. Gabe décide d'aider son ami et devient à son tour la cible des « casseurs-pirates aériens » qui l'utilisent pour retrouver à tout prix les millions de dollars tombés dans les valises avant le crash de l'appareil.

IL EST PETIT LE MONDE DE LA MONTAGNE

La plupart des spectateurs-alpinistes qui ont vu ce film ne se sont sûrement pas aperçus que dans « Cliffhanger » jouent plusieurs icônes de l'escalade libre : Wolfgang Güllich double Stallone dans les scènes d'escalade, moyennant un cachet journalier entre 300 et 500 dollars. Dans les cascades interviennent également Marc de Allessandro, Jeff O'Haco et Ron Kauk. Mais dans les parages se trouvent également d'autres grimpeurs américains et italiens, entre autres Jim Bridwell et Mario Dibona qui interviennent dans la construction des infrastructures techniques indispensables pour le tournage (échafaudages extrêmes etc.)

La plupart des scènes sont tournées à Cortina d'Ampezzo et dans les Rocky Mountains comme à Durango dans le Colorado.

« Cliffhanger » est dédié à la mémoire de Wolfgang Güllich, disparu peu après le tournage du film à la suite d'un accident de voiture au volant de sa BMW près d'Ingolstadt, entre Munich et Nuremberg. Après sa mort, on évoqua la fatigue galopante, provoquée par les nombreuses sollicitations des médias à la suite de sa popularité liée au tournage de « Cliffhanger ».

Güllich est surtout connu pour son ascension d' « Action Directe » dans le Frankenjura, considérée comme le premier 9a de l'histoire. Il réalisera aussi plusieurs ascensions de grande difficulté en haute montagne, notamment « Eternal flame » (ED, 7b, A2) à la Nameless Tower avec ses compatriotes Kurt Albert, Christof Stiegler et Milan Sykora. Kurt disparaît à son tour en 2010 en Bavière lors d'une chute en solo près d'une via ferrata localisée à proximité de Hirschbach.

LES RÉVÉLATIONS DE STALLONE

En 1963 John Harlin II a démissionné de l'US AIR FORCE, évoquant ses réserves à propos de la guerre nucléaire. Il s'installe alors avec sa femme Marylin et ses deux enfants (Andrea et Johnny) à Leysin en Suisse (Canton de Vaud). Les Harlin travaillent dans l'American College (aujourd'hui LAS : Leysin American School). John devient alors professeur d'éducation physique, sa femme enseigne la biologie. En 1965 l'alpiniste américain fonde son école d'alpinisme, l'ISMM (International School of Modern Mountaineering). Cet établissement choisit pour siège le Vagabond Club, dirigé par Alan Rankin. Le « Vag » (pour les habitués) est un gîte fréquenté par des randonneurs et grimpeurs anglo-saxons. Rapidement l'endroit devient le fief des meilleurs grimpeurs de l'époque. Après la mort de Harlin dans l'Eiger, l'ISMM sera dirigée successivement par Royal Robbins, Dougal Haston et Joe Tasker. En 1974 plusieurs moniteurs de l'école jouent dans le film « Eiger Sanction » réalisé par Clint Eastwood (voir Les tribunes GHM du 29 décembre 2018).

Le collège américain à Leysin est classé parmi les dix écoles les plus chères du monde. Le coût annuel de l'éducation y avoisine les 88,000 dollars. Parmi les lauréats de l'établissement on citera le futur gouverneur d'Arkansas - Winthrop Paul Rockefeller, l'économiste nigérien - Ebere Onwudiwe, l'écrivain Kennedy Mitchell et... Sylvester Stallone ! Ce dernier faisait partie des premiers élèves de Harlin. Leur première rencontre faillit se transformer en bagarre ! Il y a quelques mois, j'ai reçu un document inédit de John Harlin III - une interview de Sylvester Stallone, réalisée en 1992 pendant le tournage de « Cliffhanger » par Nancy Prichard, journaliste de Rock & Ice. Stallone y parle d'un monde qu'il connaît à peine. « Tout commence dans la superbe villa de Stallone en Californie. Ses murs sont ornés de peintures à l'huile spectaculaires, réalisées par l'hôte. Un tableau attire mon attention - raconte la journaliste américaine.
- Je savais que vous alliez me poser la question. Il représente John Harlin II. Je l'ai appelé « The Day Superman Died ».
- Qui était-ce ? demande la journaliste.

- John Harlin II, un alpiniste. Il a disparu à l'Eiger pendant une première.

- Comment l'avez-vous connu ?

- J'étais étudiant au collège américain à Leysin entre 1965 et 1967. J'ai rencontré John Harlin dans un cinéma. Nous avions eu une légère altercation. Je ne me souviens pas exactement qui l'a emporté, mais j'ai vu une masse de 17 pouces de large, les cheveux blonds et les yeux bleus, bondir devant moi. Nous nous sommes lancés dans un concours de regards vicieux. Je dois avouer que j'ai été un peu surpris par son agressivité. Mais finalement, nous avons développé ce qu'on pourrait appeler un respect mutuel. C'était un professeur et un guide à l'époque, il fréquentait Dougal Haston je crois. Ils tentaient ensemble la première ascension de l'Eiger Direct. Nous suivions tous leurs progrès et l'épisode de la tragédie - ils l'ont alors ramené en ville dans un sac en plastique. C'était terrible. Les journaux ont alors annoncé : « Le jour de la mort de Superman ».

- Avez-vous fait de l'escalade ? - demande Nancy Prichard.

- Pas vraiment. J'en ai eu un avant-goût durant un essai et savais que j'aurais eu le potentiel pour progresser... Après ça, je n'avais pas vraiment envie de faire du sport. Mais c'est drôle où la vie vous mène - aujourd'hui, 25 ans plus tard, je fais un film sur l'escalade.

- Lorsque vous avez lu le script, cela vous a rappelé l'époque quand les gens suivaient les événements de l'Eiger?

- Tout à fait. Harlin ressemblait beaucoup à Eastwood mais il avait un avantage : il était alpiniste. Le type qui a porté des charges lourdes dans des parois monstrueuses. Là-dedans il y a plein de choses techniques que je ne connais pas. D'après ce que j'ai appris sur l'escalade moderne après avoir rencontré Güllich et Kauk, c'était qu'Harlin n'était sûrement pas ce que vous appelleriez un grimpeur sportif. Peut-être en était-il cependant dans le contexte de son temps. En fait je ne me souviens d'aucun grimpeur sportif de cette époque. Les alpinistes que j'ai connu à Leysin étaient tous des durs. Ils se réunissaient dans un endroit appelé « Vagabond Club ». Ils soulevaient l'enfer en faisant les tractions sur un doigt sur le cadre d'une porte en battant tous les autres élèves de l'école.
- Vous étiez étudiant dans cette époque ?

- Oui (rires). Ces grimpeurs étaient comme les Vikings, une race très spéciale. Lorsqu'ils étaient sobres ils étaient eux-mêmes. Ils semblaient avoir leur propre code de conduite. Un peu comme les Hell's Angels sur les rochers. Non pas qu'ils étaient méchants, mais simplement sauvages [Wild ones : note de l'auteur]. J'étais impressionné de voir qu'ils venaient de partout dans le monde. C'était un groupe très international.

Traduction  du texte Rock & Ice: par Piotr Packowski
Merci à John Harlin III pour ce document inédit.

Cliquez sur les images pour les voir en taille réelle.



Article proposé par Piotr PACKOWSKI
Mis en ligne le lundi 20 avril 2020 à 13:14:33

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