Le grand dérapage de Voytek Kurtyka
La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui . Déclaration des droit de l'homme et du citoyen de 1789, Article 4
La montagne n'est pas dangereuse: on ne peut qu'y perdre la vie.Voltaire
Objet
L'interview donné par Voytek Kurtyka (membre du GHM et Piolet d'Or Carrière) au printemps 2020 pour un journal de Varsovie Gazeta Wyborcza) a choqué le milieu de l'alpinisme en Pologne. Cette publication a fait couler beaucoup d'encre. Personne ne comprend le but de Kurtyka.
Introduction
L'Himalayisme polonais a sur sa conscience les jeux de la mort et a gardé longtemps le silence sur les tricheries dans les plus hautes montagnes.
Ainsi est intitulée l'interview donnée par Kurtyka. La stupéfaction, la colère et l'incompréhension. Le texte en question a démoli le morale du milieu de la montagne polonais. Voytek s'en prend aussi à la Fédération Polonaise d'Alpinisme (PZA) et à l'Himalayisme Hivernal Polonais (PHZ). Mais pas uniquement. Il s'attaque également Krzysztof Wielicki, Artur Hajzer et Jurek Kukuczka. Ces deux derniers ne peuvent plus, malheureusement, se défendre. Les alpinistes polonais sont choqués, les réactions des figures de l'alpinisme polonais, et pas de moindres, ne se sont pas faites attendre. Andrzej Paczkowski (ancien président de la PZA entre 1974 et 1995), Piotr Pustelnik (actuel président de la fédération depuis 2016) et Krzysztof Wielicki ont réagi. Personne ne comprend l'intervention de Kurtyka. Pourquoi ne s'est-il pas exprimé du vivant de Hajzer et Kukuczka ? La veuve de Jurek est anéantie. Elle envisage, avec Wielicki, de porter plainte contre Kurtyka.
Jozef Nyka (membre du GHM, décédé 2 septembre 2021) a dit de son vivant : « Voytek était toujours un outsider au sein de la PZA. Je pense que cette fois-ci, il voulait mettre la barre trop haute. Elle va lui retomber sur la tête ». Jean Troillet, ancien coéquipier de Kurtyka ne comprend pas, lui non plus. « Il est devenu bizarre Voytek » - m'a-t-il dit au téléphone.
Il est vrai que Voytek a toujours été à part, et il s'est isolé un peu lui-même. Sans doute a-t-il une dent contre la PZA car la fédération polonaise a jugé Kurtyka trop individualiste et ses projets trop extravagants. Mais Voytek a trouvé ses coéquipiers et de l'argent à l'étranger.
Ce n'est pas la première fois que Kurtyka critique à tort et à travers. En 2000, il donna une interview en Pologne pour Gazeta Wyborcza : « Les montagnes sous les paupières. » Il évoque dans celle-ci ses tentatives ratées sur l'arête Mazeno au Nanga Parbat. Avec Doug Scott, puis avec Erhard Loretan. Kurtyka glisse habilement quelques "vannes" dans cette interview, en faisant comprendre que les tentatives avortées sur l'arête Mazeno sont dues aux défaillances de ses coéquipiers.
En 2015 il publia un article dans le magazine polonais Gory. Son titre « Trois » fait allusion au siège de Troie. Kurtyka y raconte une action de sauvetage en Hindou Kouch en 1972 sur le Kohe Tez (7015 mètres). Mais le sujet principal de ce texte sont les critiques concernant le matériel polonais, et notamment les duvets. Matériel « Made in Goulag », le seul qui existait en Pologne à l'époque du socialisme.
Puis en 2017 il publia un texte sur la page d'ukclimbing.com : « My Life is a Game of Thrones » qui était sensée promouvoir sa biographie « L'art de la liberté », écrite par Bernadette McDonald. C'est la première fois que Voytek dénigrait publiquement Kukuczka.
J'avais un ami remarquable qui était plus grand boucher de l'histoire de l'escalade » (...) Six cadavres dans sa carrière, le dernier était le sien. » (...) Deux ou trois fois, Jurek [Kukuczka] a essayé me tuer aussi [en Karakorum, pendant la traversée des Broad Peak's]. (...)
Le même article parût dans le magazine polonais « Gory » dans une version adoucie. Le phrase « avec le boucher » fut remplacé par « le plus effrayant joueur avec la mort dans l'histoire de l'alpinisme ». Kurtyka redoutait probablement la réaction de ses compatriotes pour lesquels Kukuczka reste toujours le plus grand alpiniste polonais.
Puis en 2018 parut sa biographie, vendue en France entre 50 et 56 euros ! D'ailleurs c'est un ouvrage de qualité moyenne, dont l'écriture fut supervisée par Kurtyka lui-même J'en parlerai bientôt dans un autre article. Dans « L'art de la liberté », Kurtyka parle également de Kukuczka. Certains passages de cette biographie sont exportés dans l'interview de printemps dernier.
Interview : les réponses de Kurtyka
Le ton de sa conversation avec une journaliste, n'ayant pas la moindre idée sur alpinisme, est autoritaire. Dans ces conditions, Kurtyka pouvait briller avec ses théories en se prenant un peu pour l'oracle de Delphes, tenant dans une main un piolet doré...
L'Himalayisme polonais a sur sa conscience plusieurs morts et a gardé longtemps le silence sur les escroqueries concernant les ascensions des plus hautes montagnes. Les principaux responsables de PZA et PHZ étaient dans le coup.
Le programme de la construction de la fierté nationale s'est transformé en programme de génocide national.
L'Himalayisme polonais s'est transformé en spectacle de travaux acrobatiques [dans le sens de l'installation abusive des cordes fixes].
PHZ signifiait le règne des randonneurs d'altitude de naissance (!) tels Artur Hajzer (fondateur de PHZ), Janusz Majer (ex-président du PHZ) et Krzysztof Wielicki. Le domaine de l'Himalayisme polonais : les voies classiques dépourvus de difficultés techniques. Parfois, apparaissait une pente de 55 degrés où l'on pouvait utiliser le piolet comme une béquille. Ce n'étaient pas des parois fascinantes par l'esthétique de la verticalité, c'étaient des pentes dont l'inclinaison était proche d'un toit de chalet à Chamonix (!). En conséquence, ces pentes sont depuis vingt ans la cible d'expéditions polonaises qui utilisent les cordes fixes et les porteurs d'altitude à outrance. Tout cela a provoqué la régression mentale de l'Himalayisme polonais et son retour dans l'époque des pionniers. C'est incompréhensible comment ces messieurs [dirigeants de PZA et de PHZ] ont adopté le droit, gravement contraire avec l'éthique, d'utiliser des porteurs d'altitude en achetant leur vie pour quatre sous. La gloire nationale se construisait par le nombre des sommets. Les victimes étaient moins importantes. C'était un génocide. Conséquence de cette course aux sommets, l'esprit d'escalade avait disparu.
Ainsi, dans sa mentalité, l'Himalayisme polonais a éliminé l'exploration des région vierges, le style alpin mais aussi l'ambition de la recherche de la verticalité et des difficultés. Ce qui reste, ce sont ces travaux acrobatiques d'altitude, célébrés par des médias et vus par plusieurs générations d'alpinistes polonais comme une norme et un modèle à reproduire. Une poignée d'alpinistes performants reste dans l'ombre....
Les cordes fixes sont le moyen le plus efficace de consommer un "huit mille". Les Sherpas l'ont démontré. Que vaut l'ascension de la voie Abruzzes, décorée par des kilomètres de cordes fixes et des échelles ? Ce n'est pas une confrontation avec une orgueilleuse montagne dénommée K2, mais tout simplement l'ascension d'une construction complètement artificielle sur ses pentes. Dans ce cas, il n'y a pas de contact de l'homme avec la roche et glace, ou autrement dit avec le éléments de la nature. Il suffisait de pousser un Jumar vers le haut sur cette construction de cordes. Rien en commun avec l'idée d'alpinisme. Une des plus belles disciplines a été réduite au disco polo [équivalant polonais du karaoké].
Sur Kukuczka
Qu'a fait Kukuczka en Himalaya ? Il suffit de se rappeler de ses trois ascensions hivernales [dont deux premières] pendant des expéditions de la fédération polonaise : Dhaulagiri, Cho Oyu et Kanchenjunga. Chaque fois Jurek arrivait quand tout était prêt : les cordes fixes et les camps intermédiaires. Ses ascensions étaient la négation des idées de l'alpinisme et du fair-play.
Il arriva au Dhaulagiri vingt-cinq jours après l'installation du camp de base, la montagne étant déjà équipée jusqu'à 6800 mètres. Kukuczka a évité un mois de sale boulot.
Cho Oyu : Kukuczka est arrivé trois jours avant la fin de l'expédition, quand la montagne était transformée en confortable Arête des Aigles [parcours le plus populaire des Tatras polonaises, équipé par des chaînes dans les endroits difficiles]. Jurek a installé son Jumar sur la corde et a entamé la montée vers le sommet.
Il a rejoint le Kangchenjunga trois semaines après l'installation du camp de base. Auparavant une forte équipe polonaise y avait installé 1400 mètres de cordes fixes et des camps intermédiaires jusqu'au 7200 mètres.
L'histoire de ces trois ascensions implique une réflexion : qu'a fait réellement Kukuczka ? Il a participé à ces expéditions presque comme un client d'expéditions commerciales, en plus gratuitement car en PRL [République Démocratique de Pologne du temps du socialisme] nous étions tous des amis et Jurek ne payait pas.
Kukuczka était certainement l'homme le plus dur de l'Himalayisme mais ses ascensions sont des exemples d'actes héroïques. Malheureusement pendant cette époque dorée, on pensait moins à l'éthique des ascensions. Ses faces cachées : les jeux de la mort et la non divulgation [par la PZA] des tricheries. ...
En 1986 Kukuczka et Tadeusz Piotrowski ont ouvert un nouvel itinéraire sur le K2 [La Polish Line]. Piotrowski était un vrai dur, les Russes disaient à son propos : « Un homme et demi ». Malgré cela, cet homme de fer a supplié Kukuczka à deux reprises, d'abandonner. Mais ses requêtes n'avaient aucune chance d'aboutir. Jurek continuait, car ils étaient à environ 200-300 mètres du sommet. En tout, ils ont passé trois nuits à 8000 mètres et ils étaient à bout. Pendant la descente Piotrowski a perdu ses crampons et dévissa, frôlant Kukuczka....
En hiver 1986, Kukuczka et Wielicki ont effectué la première hivernale de Kangchenjunga. Tous les deux avaient le flair pour le sommet, mais aucune empathie pour un camarade mourant. Andrzej Czok (Everest avec Kukuczka par un itinéraire nouveau en mai 1980) présentait tous les symptômes d'embolie pulmonaire. Il fut contraint d'abandonner l'attaque sommitale. Il a été descendu à un camp inférieur par les autres membres de l'expédition qui ont fini d'installer les cordes fixes pour Kukuczka et Wielicki. Czok est décédé peu après. Préparé pour la route vers le sommet, Kukuczka a coupé sa radio pour avoir la conscience tranquille. Il était en plein dans sa course avec Messner. Je ne sais pas qui pourrait réveiller sa sensibilité. Peut être leChrist, qu'il portait autour de son cou lui aurait murmuré à l'oreille : Jurek fais attention, Czok est en en train de mourir.
Pendant notre première tentative vers le sommet au Gasherbrum I, j'ai perdu un crampon. Nous sommes alors redescendus au bivouac à 7300 mètres. Kukuczka m'a alors informé que le lendemain il tentera le sommet par une autre variante, plus facile. Cela m'a mis hors de moi, j'ai alors compris que j'étais seul. (...) J'ai donc décidé d'aller au sommet avec un seul crampon. Mais par miracle, 200 mètres plus haut, j'ai retrouvé le crampon perdu. C'était la fin de notre partenariat en montagne. Mais en 1986 , je l'ai retrouvé pendant l'expédition sur le Manaslu. Kukuczka était aveuglé par sa course contre Messner aux 14 huit mille. Il a perdu tout contact avec la réalité. On dirait qu'il avait un trou noir dans la tête avec un écriteau : « La Couronne de l'Himalaya. » Les avalanches descendaient tous les quarts d'heure. Jurek voulait aller au sommet à tout prix. C'était la roulette russe avec cinq balles dans le barillet. (...) Après la deuxième grosse avalanche, Kukuczka finit par comprendre. Et pourtant, pendant ces deux dernières années, il a perdu quatre coéquipiers. Je n'ai pas pu accepter son comportement. Je l'ai fui pour toujours....
Sur les tricheries des Polonais
Je ne vais pas énumérer toutes les tricheries. En 1975 une expédition de Wroclaw [ancien club de Kurtyka] a organisé l'expédition sur le Broad Peak Middle (2016 mètres), un parmi les trois derniers huit mille encore vierges. Cinq alpinistes ont atteint le sommet [Kazimierz Glazek, Marek Kesicki, Janusz Kulis, Bogdan Nowaczyk et Andrzej Sikorski]. C'était le premier huit mille polonais. Trois alpinistes sont morts pendant la descente, et seuls Glazek et Kulis regagnèrent le camp de base. Puis l'un des membres de l'expédition, Roman Bebak parla. Selon lui, il n'y avait pas d'ascension sommitale. Dans le contexte des rapports publiés par les autres membres de l'expédition et dires de Bebak, je suis persuadé que c'était une tricherie. Je connais le terrain, j'y ai effectué la traversée des Broad Peaks avec Kukuczka. Un des ascensionnistes a laissé une boite près d'un rocher, contenant les noms de cinq Polonais. Mais il n'y a pas des rochers au sommet, c'est une calotte de neige. Les Polonais étaient probablement encore sur l'arête sommitale. PZA n'a pas tenu compte du témoignage de Bebak et a homologué l'ascension. C'était pour le bien de « l'Église PZA »...
Sur Wanda Rutkiewicz
En 1991 PZA organisa une expédition à l'Annapurna Wanda [Kurtyka était son stagiaire dans les Tours des Faucons] était de l'expédition. Elle a déclaré qu'elle avait gravi le sommet. Un autre membre de l'expédition (Ryszard Pawlowski) descendait du sommet et a vu Wanda en train de monter. La nuit tombait, Wanda bivouaqua seule. A son retour au CB, elle affirma avoir gravi le sommet. Mais personne ne l'a crue. Wielicki l'a vue aux jumelles : elle était en train de faire le demi-tour sous le sommet. Au CB c'était la consternation mais on l'a laissé tranquille. Elle a tenu à dire qu'elle avait atteint le sommet dans la soirée. La photo qu'elle a présenté était prise loin du sommet, Pawlowski l'a confirmé. PZA a homologué son ascension. Peut être Wanda a fait un bon rêve qu'elle a fait le sommet. Peut être Wielicki a fait un autre rêve. Va savoir. PZA a homologué l'ascension de Wanda. C'était encore pour le bien de « l'Église PZA »...
Sur Krzysztof Wielicki
Pendant l'expédition de 1979 sur l'Annapurna Sud, organisée par le club de Jelenia Gora, Jozef Koniak descendait assuré du haut par Wielicki. Il a fait une chute de huit mètres et décéda de ses blessures rapidement. Ce qui l'a tué, c'est la négligence de l'assurance de la part de Wielicki....
Je ne peux pas oublier la manipulation de Wielicki au sujet de sa nouvelle voie sur la face Est du Dhaulagiri. Je l'ai gravie en 1980 avec René Ghilini, Alex McIntyre et Ludwik Wilczynski [le sommet ne fut atteint que le lendemain]. En 1990 Wielicki y a fait une ascension en solo. Quand il a présenté le topo de sa voie, c'était exactement à l'emplacement de la nôtre. J'étais catastrophé. Il a marqué sa voie à cinq millimètres de la nôtre. Quel culot ! Car on ne peut pas tracer précisément une nouvelle voie sur une pente de glace. En plus, en 1980 nous avons grimpé tous en solo, en suivant la ruse de Wielicki, on peut dire que nous n'avons pas ouvert une voie, mais quatre ! Pendant presque vingt ans, toutes les publications présentaient l'itinéraire de Wielicki sur l'emplacement de notre voie...
Réactions
Piotr Pustelnik ( Président de PZA, 14 x 8000 mille)
Ce qui m'a touché, ce sont les sujets à caractère personnel, vieux de 30 ans. Il pouvait formuler ses accusations sur Kukuczka et Wanda de leur vivant. Les autres, comme Majer ou Wielicki peuvent se sentir blessés....
Il n'était pas là [Voytek]. Il y avait une grande occasion, il y a huit ans, pendant le sommet organisé par la PZA près des rochers de Podlesice, dans le Jura polonais. Son sujet principal était la moralité dans l'alpinisme. Où étaient ses vannes et ses savants conseils ? Pourquoi n'a-t-il pas présenté son point de vue, même s'il était différent ? On prend de bonnes résolutions quand les opinions divergent. Alors je pose la question à nouveau: où étais-tu Voytek ? Où t'étais-tu caché ? Pourquoi n'as-tu rien voulu dire à l'époque ? ...
Je ne prends pas ces accusations [jeux de la mort] comme celles adressées à la PZA. Je les perçois comme, le fait connu dans notre milieu, l'expression de sa fantaisie verbale. Il utilise un certain langage pour défendre des valeurs très importantes pour lui. Hormis « bordel », « travaux acrobatiques », Kurtyka dit certains phrases avec lesquelles je suis d'accord....
Depuis un certain temps Voytek s'est éloigné du milieu. Il n'a pas entendu ni vu qu'une nouvelle génération des grimpeurs était née. Nous avons plusieurs jeunes loups qui cherchent plutôt les difficultés que l'altitude. Ils veulent grimper mais pas avec la technique de siège. Ils savent, nous le savons tous, que l'Himalayisme Hivernal Polonais (PHZ) n'a plus de sens. Il s'est transformé naturellement en PHS, l'Himalayisme Sportif Polonais. Les jeunes y tiennent la main et tout est dans leur camp. Ils doivent faire leurs preuves.
Andrzej Paczkowski, ancien Président de PZA (1974-1995)
Les paroles de Voytek m'ont choqué. Il a gardé en lui tout ça pendant vingt ans, pourquoi aujourd'hui ? En plus ses accusations ne sont pas fondées....
Bien sûr, Voytek avait une autre perception de l'himalayisme que Kukuczka. Voytek avait une approche mystique envers les montagnes. Les records ne l'intéressaient pas. Il cherchait les voies nouvelles. C'était un grimpeur génial. C'est vrai qu'il était prudent, dans ses expéditions, il n'y avait pas de morts. Kukuczka et Wielicki n'étaient pas des professeurs d'himalayisme qui amenaient des élèves en montagne en ayant la responsabilité sur eux. Ils partaient avec les autres et chacun prenait ses risques. Accuser Kukuczka de la mort de Piotrowski [K2 en 1986 ], c'est stupide....
Que la femme de Kukuczka soit choquée cela ne m'étonne pas. Jurek a disparu il y a 30 ans. Avec Kurtyka, ils formaient un des tandems les plus célébrés dans l'histoire de l'himalayisme. Ils grimpaient ensemble bien qu'ils étaient différents (...). Jurek n'a pas mérité une telle attaque. Surtout maintenant, comme il ne peut plus se défendre. Le risque en montagne existe, cela concerne chaque alpiniste. Chacun juge les limites liées au risque. Chacun choisit ses voies, Jurek avait le droit de choisir, autant que Voytek....
Voytek a dénigré Kukuczka à 100% en posant la question : Qu'a fait Kukuczka en Himalaya ? Je n'arrive pas à comprendre cela. Qu'est-il arrivé pour que Voytek raconte ces choses-là aujourd'hui ? ...
L'interview de Kurtyka ressemble à une confession, mais pas la sienne. Voytek énumère les péchés de ses copains. Il essaie de nous dire que tout ce qu'il a fait en montagne était bien, mais tout ce qu'on fait les autres était mal ! Et pourtant Voytek a fréquenté les expéditions lourdes. Moins que les autres, mais il l'a fait. Il n'aimait pas ces expéditions, mais il y a participé malgré tout quelques fois. En outre dans les années 80 personne ne s'imaginait de gravir un huit mille en style alpin. Quand en 1980, Cichy et Wielicki ont réussi la première hivernale de l'Everest, personne ne songeait qu'on pourrait gravir les huit mille en petite équipe et sans l'oxygène....
Il y a de plus en plus d'expédition commerciales et autant de touristes d'altitude. Mais cela n'a rien à voir avec Kukuczka. Dire, comme l'a fait Kurtyka, qu'il se comportait en client est injuste. Jurek ciblait les voies très difficiles techniquement. Voytek le sait. Kukuczka a tracé de nouvelles voies, il était un pionnier en Himalaya. Il a disparu sur la face Sud du Lhotse. Ce n'est pas un itinéraire équipé en cordes fixes, ce n'est pas une voie pour les touristes des expéditions commerciales. Du temps de Zawada, les Polonais ont inventé l'himalayisme hivernal. Que cela plaise ou non à Voytek. Personne ne remet en question sa classe. En montagne, il était un génie. Pourquoi alors dénigrer les ascensions des autres? Pourquoi traiter l'himalayisme polonais de Jeux de la mort. ? ...
On a toujours eu des doutes sur l'ascension de Wanda Rutkiewicz à l'Annapurna. Les uns l'ont cru, les autres sont persuadés qu'elle a fait le demi-tour avant le sommet. Wanda, une des plus grandes légendes de l'himalayisme, a disparu sur Kangchenjunga en 1992. Je ne dis pas que Voytek ment ou qu'il manipule les faits. Je ne comprends pas pourquoi il accuse si lourdement des gens qui ne sont plus. Kurtyka avait une autre philosophie de l'escalade, il regardait la montagne autrement, il était admiré pour ses ascensions. Il a oeuvré pour son statut avec une grande autorité. C'est pourquoi ses mots ont blessé plusieurs personnes....
Je me demande pourquoi Voytek est intervenu aujourd'hui ? Peut-être à cause des événements de cet hiver au K2. C'était la quintessence de tout ce qu'il déteste en montagne. Un groupe de cinquante personnes dirigé par une agence de trekking suivi par le monde entier. Et après, devant les yeux de millions de gens, cinq alpinistes ont perdu leur vie. C'était après l'ascension victorieuse des dix Sherpas. Peut-être que tout ce manège a énervé Voytek et le faisant réagir...
Krzysztof Wielicki
Kurtyka a jeté une grenade dans notre milieu de la montagne en diminuant les exploits des gens vivants mais aussi de ceux qui ne sont plus là. Selon lui, nous étions des simples randonneurs d'altitude qui évitaient les parois verticales, les difficultés. Nous avons profité des Sherpas qui installaient pour nous des cordes fixes. Ce n'est pas la vérité, car nous faisions appel aux sherpas de façon minimale, à cause de l'éthique mais aussi parfois des finances ?...
Voytek dit que nous avons triché en montagne. Je peux en parler, car la tricherie est une grave accusation. Malheureusement nos amis disparus ne peuvent plus se défendre. Kurtyka a jugé que leurs exploits n'ont aucue valeur. C'est impossible de dire de pareilles choses de la part de Voytek. Il a fait des choses superbes. Il n'est pas vrai que seul Kurtyka repérait les parois difficiles et verticales. Selon lui, nous leur tournâmes le dos. Il suffit de peu d'efforts pour étudier l'histoire [d'alpinisme] des années 60 - 90....
Voytek m'accuse que je me suis approprié de sa voie au Dhaulagiri. Ce n'est pas tout à fait vrai. En 1996 un livre est paru au sujet de la conquête de la Couronne de Himalaya ? C'est exact, mon itinéraire y figure avec l'annotation « Voie Wielicki ». Mais j'y fait pas attention. Car pour moi ce importe le plus est que j'ai gravi la face Est en solo et en 16 heures. Puis j'ai vu le topo de la voie de Voytek et de ses coéquipiers dans Taternik » [revue polonaise d'alpinisme], elle parcourait la face plus près des rochers. J'ai pensé que mon itinéraire est différent, en plus j'ai commençé par une autre variante. J'ai oublié vite cette histoire, mais pendant l'écriture de mon livre « Mon choix », Voytek a téléphoné à un journaliste de la revue « Gory », et il voulait que l 'on se voit. J'ai dit à Voytek : OK en fait nous avons fait pratiquement la même voie. Mais je me fiche des détails. Si tu veux, on va dire que c'est une variante à votre voie. Voytek accepta. L'incident était clos....
Voytek me tint moralement responsable des accidents mortels de mes coéquipiers. Il a dit que de temps en temps, je leur ouvrirais la porte de l'au-delà. C'est très poétique.(...) Kurtyka parle d'accidents survenus en l'Himalaya dont il ne fut pas témoin. Je me demande quelles sont ses sources ? Les potins ? Peut-être avait-il accès aux rapports de PZA? Mais il les a mal interprétés....
Kurtyka n'a pas le droit de nous imposer sa philosophie. Les chemins de la montagne sont nombreux. On peut choisir. ...
Le mot de la fin
Je connais Voytek depuis la fin des années 70. Nous avons bien discuté au refuge de Morskie Oko. Puis nous nous sommes perdus de vue. En 2012 j'ai contacté Voytek pour un projet d'écriture qui n'a pas abouti. Nous étions presque fâchés. Il y a plusieurs mois, nous nous sommes réconciliés. Puis des amis polonais m'ont fait parvenir un lien de son interview. La colère s'empara de moi. Pourquoi a-t-il écrit ces choses-là ? Je ne suis pas le seul à me poser cette question, hélas.
Sans doute le COVID-19 a changé la société et les mentalités. Voytek Kurtyka a-t-il attrapé une variante psychologique de l'épidémie ou son dérapage est-il dû simplement à son l'âge (74 ans) ou bien à la jalousie ? Ou enfin, est-ce l'envie de se rendre intéressant ? On a vu ce phénomène, l'hiver dernier, quand certains alpinistes ont raconté n'importe quoi au sujet de l'ascension népalaise au K2 ? Même Messner a participé au bêtisier du K2.
Je me pose toujours ces questions sur Voytek. Perd-il la tête ? Ses propos, c'est un sacré coup pour sa classe. Je suis en colère comme Wielicki et les autres, car Voytek a pris le milieu de montagne pour des toilettes publiques. Certains choses qu'il annonce sont suspectes. Par exemple Kukuczka et Piotrowski au K2 en 1986. Comment Kurtyka savait ce qui s'est passé là-haut ? Voytek dit dans son interview que les mensonges répétés deviennent la vérité. Heureusement nous sommes vaccinés contre le mensonge. Pas tous malheureusement.
Voytek, tu m'as déçu gravement. As-tu écrit tout cela en vertu de la liberté d'expression ?
Crédit photo principale : Adam Stepien de Gazeta Wyborcza
Article proposé par Piotr PACKOWSKI
Mis en ligne le mardi 28 décembre 2021 à 18:08:38