La Tribune du G.H.M.

Progrès, éthique, décadence en alpinisme et en himalayisme par Henri Sigayret

Citations :

- Sylvain Jouty, (S.J.dans le texte) écrivain, alpiniste, dans : Alpinistes extraordinaires. Hoëbeke éditeur.

- Gilles Modica, (G.M. dans le texte) écrivain, alpiniste, dans : 1865, l'âge d'or de l'alpinisme . Guérin éditeur.

- Frank Smythe, alpiniste-himalayiste, dans : Vacances d'alpiniste . Arthaud éditeur.

- James Ullman, alpiniste, dans : La grande conquête . Arthaud éditeur.

Ce texte n'est qu'un regard sur le passé, une rapide réflexion sur le présent, l'expression de souhaits sans illusions de réalisation pour l'avenir de l'alpinisme et de l'himalayisme. En aucun cas il ne se veut étude approfondie et exhaustive de ce vaste sujet. Il est amusant de noter que le progrès est lié à la sécurité laquelle permet de franchir des difficultés toujours plus élevées. Certains y voient un justificatif à certains excès alors qu'il ne s'agit que d'une fuite en avant. Dans le titre, le mot décadences est mis au pluriel car on constate que, dès les premiers temps de l'alpinisme et de l'himalayisme, la pureté et l'élégance ont été sacrifiées au bénéfice de l'efficacité, de la facilité, de la rapidité, de la sécurité, de la notoriété, oubliant que le risque encouru par les alpinistes-himalayistes étaient dans les racines de leur activité, en étaient même une part essentielle. D'où la conclusion : l'alpinisme-himalayisme étant une activité sans règles, faut-il tenter de stopper cette évolution en établissant un cahier d'éthiques fondamentales dont une des phrases pourrait-être :

L'alpinisme pur s'arrête dès que le grimpeur utilise pour la progression des pièces mécaniques et ne pose pas ses mains sur le rocher. Dans le cas contraire il s'agit d'une autre activité.

 

EN PREALABLE : L'ALPINISME EST-IL UN SPORT ?

Est-il un sport, n'est-il qu'un sport ? Pour l'alpiniste américain Ullman l'alpinisme est :

Par tradition et par sa nature même un sport désintéressé...

et :

une aventure spirituelle.

Pour l'alpiniste-himalayiste anglais Frank Smythe :

Sans aucun doute l'escalade, en tant qu'acte physique, est un sport. Pourtant définir l'alpinisme seulement comme un sport, c'est omettre le principe, la cause et l'effet, car le véritable alpiniste ne grimpe pas pour le seul plaisir de l'exercice physique, mais pour établir quelque contact mental et spirituel avec la nature. L'alpinisme donc, diffère en cela de la plupart des autres sports, a un fondement philosophique, et n'en pas tenir compte, c'est ne pas tenir comte de sa raison d'être.

Pour moi, n'ayant jamais croisé la spiritualité ni au Groenland, ni dans les Alpes, ni dans les Pyrénées, ni dans les Andes, ni dans les Himalayas du Népal et du Pakistan, ni au Pamir, l'alpinisme -et plus encore l'himalayisme, est un sport de solitaires qui se déroule en terres désertiques -l'éloignement aux autres étant créé, dans les montagnes européennes, non par la distance mais par la difficulté du parcours. Un sport sans public direct, hors de l'emprise du commercial, éloigné des tapages médiatiques. Un sport qui se déroule dans un décor d'une vaste et somptueuse beauté soulignée par une extraordinaire harmonie de couleurs changeantes. Un sport qui se pratique sur des supports d'une extrême variété de formes, et ayant pour autre caractéristique sur fond de grande aventure, la durée, la dureté, un grand nombre de risques d'accidents graves ou de mort acceptés, liés à la gravité, à la présence de dangers trop souvent imprévisibles : chutes, chutes de pierres, de tempêtes, de froids extrêmes, d'avalanches,.... Cet alpinisme-sport est donc lié à l'évolution du matériel, des techniques, des mentalités, voire des modes et évidemment des progrès.

 

ETHIQUE

Tous les sports ont leurs règles du jeu, des arbitres pour signaler les fautes et les sanctionner. En l'absence de règles s'appliquant à l'alpinisme-himalayisme, et d'arbitres difficilement présents sur le terrain, le mot éthique, chemin vers la vertu pour Aristote , pourrait être un ensemble de prescriptions qui inspireraient, dicteraient et limiteraient nos pensées et nos actions. Serait évidemment refusé énergiquement le :

Ce qui importe, c'est la victoire et non les moyens de l'obtenir.

De Napoléon. En l'inversant et en proclamant :

Ce qui importe c'est les moyens d'obtenir la victoire et non la victoire elle-même.

 

LE PROGRES . La signification de ce mot est liée à l'idée de bien, d'amélioration, mais il existe des progrès négatifs. C'est pourquoi, pour beaucoup d'entre-nous, ce mot est parfois considéré avec suspicion ou franchement rejeté. Il serait possible de classer les progrès en alpinisme-himalayisme en trois familles :

- les progrès bénéfiques : la qualité des cordes d'escalade, l'usage du baudrier, du casque,

- les progrès tolérés avec plus ou moins de réticence : les pitons,

- les progrès à exclure systématiquement : certaines routes ou chemins carrossables utilisées pour les marches d'approche, les engins de remontées mécaniques, les pitons scellés, les câbles.

Pourtant le négatif peut rejoindre le positif : un suréquipement des faces sur lesquelles se pratiquent l'escalade est à rejeter, mais faut-il condamner toutes les via-ferrata ?

 

QUELQUES PROGRES ACCEPTES SANS BARGUIGNER

A défaut d'étude complète contentons-nous de noter quelques cas caractéristiques de progrès qui sont dus à l'évolution des mentalités et des pratiques, à l'amélioration des équipements, , aux conséquences de l'éternelle lutte des anciens et des modernes soit en d'autres termes, aux conflits de générations : quel jeune sportif ambitieux et talentueux ne désire-t-il pas marquer ?

- L'entraînement, un progrès naturel .

Les vieux alpinistes ne s'entraînaient pas mais ils marchaient beaucoup. L'entraînement du père Gaspard (paysan-berger) était dans l'exercice de sa profession qui nécessitait de longues marches, de lourds portages. Un Lionel Terray n'a certainement jamais fait un footing dans sa vie. Au mieux les alpinistes de son temps faisaient quelques pompes sur le cadre dormant de leurs portes. L'entraînement, l'école d'escalade ont fait évoluer le niveau. Robert Paragot :

Lionel Terray grimpait comme un sac.

Dire cela de Terray qui avait gravi les courses les plus difficiles des Alpes semblait un blasphème. Ces paroles étaient pourtant justes. La fréquentation de Fontainebleau pour les Parisiens, du Cyclope pour les Annéciens, de la Carrière pour les Grenoblois, des Gaillands pour les Chamoniards,..., ont été de formidables écoles supérieures d'escalade. Terray n'avait pas fréquenté d'écoles, il avait appris sur le tas . Aujourd'hui les top-niveaux consacrent plusieurs heures quotidiennes à l'entraînement. Les structures artificielles d'escalade ont également fait évoluer le niveau des grimpeurs de façon extraordinaire.

- L'amélioration des vêtements. Observez les vêtements des premiers alpinistes (quant à celui des premières alpinistes ! Salut miss Brevoort !). Ils différent peu de celui des paysans de l'époque, vestes, bandes molletières,... Aux pantalons droits succéderont les golfs à la Tintin en toile de Bonneval, un tissu qui pouvait remplacer les papiers de verre tant ils étaient rugueux et raides. Dès que les fibres plastiques font leur apparition elles sont utilisées à la confection de vêtements, de survêtements de protection, de tentes. L'expédition à l'Annapurna en 1950, a parfois été nommée l'expédition nylon . Les tissus polaires s'imposeront ensuite ainsi que les tissus qui respirent . Les brodequins de montagne eux, sont à l'imitation des chaussures de soldats, des chercheurs de cristaux ou des chasseurs de chamois :

Ce sont de fortes chaussures en cuir écru, avec des semelles épaisses, étoilées de clous... (G.M.),

Le progrès modifiera ces chaussures : l'empeigne ne comportera qu'une seule couture, les clous seront éliminés au profit de tricounis , des profilés d'acier cranté fixés sur le bord de la semelle. Dans l'escalade difficile ces chaussures sont remplacées par des espadrilles. Viendront ensuite les semelles en caoutchouc rainuré, Wibram (Vitale Bramani) et sa version française Belledonne . Ces chaussures permettent de progresser sur des pentes de neige de raideur moyenne et ont une très bonne efficacité dans le rocher. On trouvera bientôt sur le marché des chaussures hivernales avec chausson intérieur. Les matières plastiques remplaceront progressivement le cuir. Sont apparus également les chaussons d'escalade (en France, les P.A. de Pierre Allain, dès 1947, les E.B. de Robert Paragot,...). Avec ces chaussons l'adhérence devient le mode de progression habituel. Dans les années 1950 les alpinistes ne possédaient qu'une seule paire de chaussures, avec elle ils pratiquaient l'escalade d'école sur blocs, en falaise, l'alpinisme, le ski de montagne. On les retrouvait même en expédition (pieds gelés d'Herzog et de Lachenal à l'Annapurna).

 

QUELQUES PROGRES AYANT ETE DISCUTES

Cordes

L'usage de la corde a été critiqué. Un nommé Preuss :

On ne devrait escalader que des voies que l'on peut désescalader . Tout moyen d'assurage artificiel ne se justifie que dans... des situations extrêmes. Le principe de sécurité dérive d'une honnête estimation de ses capacités, pas de l'utilisation de moyens artificiels.

Trop de pureté peut conduire à la mort, Paul Preuss se tuera en escalade. Mais la corde a été adoptée, également son évolution. Elle était en chanvre, les vieux alpinistes se souviennent de l'odeur qu'elle dégageait. Etant peu élastiques sa résistance était donc très faible. De plus elle s'imprégnait d'eau et avec le gel devenait aussi peu maniable qu'un câble. On parle aussi de cordes en soie dont la résistance ne devait pas être beaucoup plus résistante. Les fibres synthétiques élastiques ont permis par la résistance des fibres et leur élasticité d'augmenter la sécurité (résistance) et le confort d'utilisation : souplesse, imperméabilité, ...

Equipements

Sur le progrès des équipements, (S.J.):

Ce furent les grimpeurs allemands et italiens (sous Hitler et Mussolini) imbus de la nouvelle doctrine du surhomme chère aux nazis et aux fascistes, qui ont accueilli chaque nouveau perfectionnement avec enthousiasme...Le point de vue conservateur,..., mettait hors la loi corde, piolet et souliers ferrés...Les Alpes qui étaient un terrain de jeu puis un laboratoire étaient devenues un champ de bataille...

Piolets

- L'évolution du bâton au piolet . L' alpenstock , simple bâton ferré des cristalliers et des chasseurs de chamois qui est :

Signalé en Suisse dès le XVI e siècle...

Celui de Balmat était un gros bâton de trois mètres de long... Celui de Saussure de 2,60 mètres.

Cet alpenstock possédait parfois un crochet. Posé sur la glace, perpendiculairement à la crevasse, il servait à augmenter la sécurité par le report d'une part du poids de l'individu sur une longueur plus grande. Suivirent la hache à glace (certainement celle de bûcherons), des bêches de simples paysans, les guides l'étaient tous alors. Tous furent remplacés par une imitation du pic de mineur. Caractéristique commune, le manche reste très long. La forme de ce piolet évoluera au fil des générations, il évolue encore.

Crampons

En l'absence de crampons, en 1860 :

Michel Croz, guide de Mathew taille 800 marches à la hache à la Grande Casse.

Usage des crampons, e n 1899 (S.J.) :

Un nommé Eckenstein montre l'usage des crampons alors fort peu répandus chez les alpinistes anglais (N d l'A, ils l'étaient pour quelques chasseurs de chamois) car considérés comme « aide artificielle ». On doit à Eckenstein les premiers crampons et piolets modernes utilisables pour remonter des pentes raides sans tailler de marches . (S.J.)

L'introduction de ces nouveautés résulte du besoin de faciliter la progression et la sécurité. Sont-ils un réel progrès lié à l'augmentation de la difficulté franchie ? Les crampons à pointes avant ont conduit les alpinistes non pas à rejeter les anciennes techniques qui ont toujours cours en terrain moyen mais à utiliser la position naturelle face à la pente dès que la raideur augmente. Les crampons, refusés par des puristes sont aujourd'hui d'usage courant, ne pas les utiliser serait considéré comme une faute.

Pitons or not pitons

Ces moyens artificiels furent, à leur apparition, fortement critiqués. Citons Ullman (écrit en 1950) :

En ce qui concerne les inventions mécaniques, l'alpinisme a aussi marché avec son temps. La mécanisation, dans la mesure ou le terme s'applique à ce sport, signifie l'emploi de moyens artificiels pour réaliser des escalades qui seraient impossible autrement et cette pratique est aujourd'hui répandue et développée à un tel point qu'elle constitue, on peut presque le dire, une phase nouvelle et distincte de la technique de l'alpinisme.

Pitons, broches à glace, mousquetons. Du piton à anneaux aux cornières, des pitons en acier doux aux pitons en acier riche en carbone, des broches à glace à épines à celles à pas de vis... que de formes ! L'un des premiers à les utiliser en France est Zwingelstein, le célèbre Cheminot de la montagne . Les mousquetons n'existant pas, il passait la corde dans les anneaux dont sont équipés les premiers pitons. Limites d'utilisation, Pierre Allain observant depuis la Nord des Drus, la face W :

- Impossible, sauf à utiliser d'énormes moyens mécaniques. Mais dans ce cas tout est possible, même un chemin de fer intérieur...

Dans la voie Couzy au Lavarédo, le grimpeur est-il un alpiniste ou un gymnaste ?

Les coincés

Et non coinceurs, remarque de Patrick Cordier. Ils présentent des caractéristiques intéressantes puisqu'ils n'abiment pas le rocher. Inconvénients ils sont porte ouverte à l'hypocrisie : utilisation comme prises, surnombre,... Image négative, celle de l'incroyable quantité de ces engins accrochés à la ceinture d'un grimpeur d'aujourd'hui.

Les pitons scellés

Bolts, spits,...placés dans un trou préalablement creusé, tenue assurée soir par des forces de frottement soit par des colles-résines. Malgré les cris de Bonatti :

- Avec eux, l'impossible disparaît.

Ils sont devenus d'usage courant. On équipe même des relais dans de vieilles voies historiques ! Pour gravir Le Capitan dans le Yosémite, 125 bolts plus de 600 pitons normaux ont été plantés....Dans le Cerro Torre, Cesare Maestri transporte un compresseur de 180 kg, il perce des trous tous les mètres ! Comme pour l'escalade artificielle, l'homme est lié au rocher, où est l'élégance ? L'alpiniste est bien devenu un gymnaste besogneux.

Routes

Tilman critiquant le progrès pense :

Qu'il détruit l'aventure... que l'automobile conduit à l'amélioration des pistes...

Téléphériques, câbles...

Téléphériques et câbles fixés dans des passages difficiles ! Toujours critiqués dans un premier temps ils finissent par être adoptés et sont même utilisés normalement : téléphériques de l'aiguille du Midi, de la Meije, câbles sous la Zigmondy,...

Dans le domaine immobilier, les refuges

Les refuges sont-ils un progrès, qui attirent puis concentrent en un point la foule ? Laquelle foule porte en elle la pollution par le nombre. L'alpiniste (demain l'himalayiste) solitaires par essence devient grégaire, il se groupe, il se prosterne devant la facilité, alors qu'il existe de nos jours du matériel de bivouac ultra léger ! Mais les clubs–hôteliers, les guides,... ont leurs intérêts...

Cotation de la difficulté.

Plus subtil est le mot progrès associé à l'échelle de cotation des difficultés en six degrés établie par l'Autrichien Willo Welzenbach. De Facile à Extrêmement difficile pour la cotation générale d'une course, du premier degré au sixième degrés (ouverte vers le haut depuis) pour le rocher. Leur utilisation, si elle a tristement participé à démystifier l'alpinisme romantique, Ullman :

Pour renforcer et aggraver cette folie meurtrière naquit un système de graduation des escalades, qui devint de plus en plus populaire sur le continent après 1930.

Elle a toutefois permis d'éviter les flous hypocrites, les exagérations, les bavardages.

F.F.M. et F.F.M.E.

L'essor de l'escalade pure a fait que la Fédération française de la montagne a été transformée en Fédération française de la montagne et de l'escalade . Dans les institutions, dans les mentalités, certainement dans les budgets, le mot escalade a pris le pas sur le mot montagne. Triste évolution !

Expéditions.

L'absence d'éthique se révèle aussi dans les expéditions. Expéditions mammouth, utilisation des sherpas comme coolies, comme faiseurs de traces en zone avalancheuse, comme équipeurs en zones dangereuses. 2014, 16 sherpas tués dans la Cascade de glace de Sagarmatha. L'intégration de professionnels népalais dans l'U.I.A.G.M. n'a eu lieu qu'après 20 à 25 de formation ! Il faut deux mois pour former un guide occidental !

La compétition internationale a conduit à utiliser l'oxygène (Sagarmatha, Sud de l'Annapurna, du Jannu,...). Les expéditions utilisent un grand nombre de coolies de vallée, certaines expéditions en ont embauché plus de 1000 ! Dans les expéditions la moindre pente est équipée d'une corde fixe -qui sera laissée sur place, ainsi que de nombreuses tentes d'altitude,... Ridicule engouement pour les sommets de plus de 8000 mètres. Aucune difficulté d'itinéraire n'est indiquée ( avec l'échelle Welzenbach). Les comptes rendus exagèrent les difficultés : la Faucille à l'Annapurna Nord, Herzog :

- Une pente à 45 degrès.

Elle en fait tout au plus 30 ! La voie normale du Jannu, Terray :

Des difficultés jamais franchies à ce jour...

La voie est A.D.

 


DIFFICULTES D'APPRECIATION.

Indiquons pour conclure qu'il est très difficile de porter un jugement si on indique que des moyens artificiels furent utilisés dès 1492 lors de l'ascension du mont Aiguille considérée aujourd'hui comme symbole de la naissance de l'alpinisme . Au cours de celle-ci en effet :

des moyens mirifiques (échelles posées par des escheleurs ) permirent à Antoine de Ville de gravir ce sommet.

 

 

CONCLUSIONS

Sylain Jouty :

L'éthique de l'alpiniste est à géométrie variable.

Jouty a raison, la notion de bien est fluctuante, des comportements plus ou moins admissibles voire franchement critiquables sont devenus coutumiers . Cette éthique à géométrie variable a été porte ouverte à la facilité, au désir de réduire la durée des efforts, d'atténuer ou d'annuler tout danger qui étaient les points forts de l'alpinisme-himalayisme. L'argument : on grimpe du plus difficile ne tient pas puisque les risques diminuent. D'où la question : Faut-il établir des règles concernant l'alpinisme-himalayisme ? Faut-il préciser l'interdit, le toléré, l'admissible ? En incluant des vieilles valeurs, la pureté dans la conception, l'élégance dans la réalisation, le fair play dans les relations, la rigueur dans les écrits ?

Car les récits d'ascensions, les écrits des médias participent à cette dégradation de l'éthique. Il faut marteler que les médias rapportent l'événement lequel n'a souvent rien de commun avec l'Histoire écrite par les spécialistes de la montagne. Les événements sont décrits à chaud ou en cours d'action ou fort peu de temps après l'action. L'Histoire, elle, encastre l'événement dans l'évolution de l'alpinisme-himalayisme, elle tient compte de nombreux facteurs dont le contexte, l'esthétique et la difficulté réelle, elle situe, gradue, estime les qualificatifs à attribuer à l'action. Certains médias, certains caciques ont joué et jouent encore souvent un rôle néfaste : les murs d'escalade n'ont jamais été une démocratisation de l'alpinisme (combien de lords parmi nous, les vieux ?). L'ascension des 8000 (l'utilisation d'oxygène n'était même pas mentionnée) par des itinéraires faciles a été célébrée par de grands coups de trompe alors que ces ascensions n'étaient plus des exploits depuis des décennies. La course aux quatorze 8000 n'a été qu'un scoop à épisodes (combien de jeunes grimpeurs talentueux qui auraient pu ouvrir de belles voies sont morts dans cette course !). Qui, de nos jours, informe que l'ascension de Sagarmatha-Chomolungma-Everest par des cohortes d'himalayistes de salon pompant de l'oxygène, n'est qu'un piège à dollars et n'offre qu'un spectacle d'une effarante nullité ? Quel média a dressé la liste des himalayistes qui ont gravi Sagarmatha sans oxygène ? Quel journaliste indique pour une expédition le nombre de sherpas utilisés, le nombre de mètres de cordes fixes mis (et laissés) en place, le nombre de camps ? Qui s'insurge contre les expé commerciales dans lesquelles les sherpas prennent tous les risques, font tout : pose d'équipements (16 morts en 2014 dans l'Ice Fall), portages, installent les camps, guident leurs clients au sommet ?

Quel média exige que les himalayistes indiquent le niveau et la nature des difficultés d'une ascension ? Que de surprises si les lecteurs apprenaient le niveau de difficulté des ascensions célébrées encore aujourd'hui ! Ainsi les voies normales des Gasherbrum, du Cho Oyu, de Sagarmatha-Chomolungma-Everest, du Shisapamba, sont F à P.D. L'itinéraire français à l'Annapurna est P.D. à A.D., celui du Jannu-Kumbakarna A.D., le pilier S.W. de ce sommet, D à T.D. inf, ceux des hauts sommets du Pamir F...

Les récits des ascensions par les ténors d'aujourd'hui font de plus parfois frémir par leur misère. Uéli Steck :

- Une fois parvenu sur la zone neigeuse je bois le P..., Je remets les gaz... J'absorbe un gel énergétique,... Je mets la gomme,...J'emporte deux chauffe-mains et deux chauffe-pieds dont la durée de chauffe est de six heures... J'avais déjà réalisé 28 ascensions de cette face (Eigerwand),... Dans la technique du dry-tooling, les piolets sont insérés dans de minuscules trous du rocher ou calés dans les fissures,... J'ai bénéficié des conditions du siècle. De la neige plaquée sur la paroi qui a permis d'utiliser la technique pointe avant,... Je préférai une plus grande présence de glace parce qu'elle est plus facile et plus rapide à escalader que le rocher,...

Il n'a jamais pensé, inspiré par Maestri emporter un canon à neige ? Ecoutons-le encore :

Au pied de la face je saisis les deux piolets, lance le chronomètre de ma montre... Au sommet, j'appuie sur le bouton stop du chronomètre de ma montre,...

Tout cela démontre que l'alpinisme-himalayisme est non seulement devenu un sport de stade mais s'abaisse au niveau des courses de vélo et de football.

Aujourd'hui quel journaliste indique que ce dry-tooling qui permet de franchir des passages sans que les mains touchent le rocher est une forme dénaturée de l'alpinisme-himalayisme ? Qu'il doit être classé sous un autre titre que celui d'alpinisme. Qu'il sera peut être suivi par un mains-griffes ou un mains ventouses dans lequel les grimpeurs enfileront des gants munis de griffes imitées de celles du lézard ou de ventouses imitation pattes de mouches.

Quel cacique de la montagne, quel président de club, quel journaliste inspiré s'insurgera contre ces déviations qui dénaturent dans son essence l'alpinisme-himalayisme ? Quel notable de l'alpinisme-himalayisme indiquera au coup par coup aux médias les erreurs ou fautes commises ? Lequel décidera de mener campagne pour que soient enfin figés dans un texte quelques règles élémentaires évitant ces abus ? Oui je sais tout contrôle visuel immédiat est impossible en alpinisme et plus encore en himalayisme mais de nouveaux grimpeurs referont un jour l'ascension, indiqueront leur opinion et il faut accepter l'idée que la vérité éclate toujours.



Article proposé par Henri SIGAYRET
Mis en ligne le lundi 03 juillet 2017 à 10:39:13

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