Jean-Jacques ASPER

Année du décès: 2019
Profession : Retraité
Nécrologie: Jean Jacques Asper n'est plus. A force de le voir avaler les années sans qu'elles ne semblent avoir d'effet sur lui, son départ brutal est un choc inattendu. En effet, apprendre que toi, Jean-Jacques, qui après avoir tutoyé pendant plus de trois quarts de siècle des situations dangereuses en montagne, trouve la mort accidentellement dans ce qui serait pour tout un chacun une imprudence, est quelque chose qui ne pouvait pas trouver place dans notre imagination. Mais n'étais-tu pas familier des actions hors du commun ? Adolescents, Jean-Jacques et son frère Claude étaient emmenés par leur papa au Salève d'abord puis à des ascensions dans les Alpes où les deux contractèrent le virus incurable de l'escalade et de l'alpinisme. Et c'est au Salève, bien évidemment, qu'en 1960 j'ai fait la connaissance de Jean-Jacques Asper. Il était déjà un personnage réputé de l'alpinisme genevois, membre de l'Androsace, un club qui avec le GAO se partageait une bonne partie des meilleurs varappeurs du Salève ; que nous, jeunes grimpeurs, regardions avec respect et envie. Pour le grand public, Jean-Jacques, s'était fait connaître par un haut fait lors de l'expédition suisse de 1952 à l'Everest en franchissant adroitement la grande crevasse qui avait repoussé l'expédition britannique de l'année précédente. C'est ainsi qu'il avait ouvert le chemin permettant à Raymond Lambert et le Sherpa Tensing d'atteindre l'altitude de 8600 m Mais pour quelle raison, malgré son jeune âge, avait-il été choisi pour participer à cette expédition ? Il me l'a raconté il y a juste deux mois, parmi de nombreuses anecdotes dont il avait encore le souvenir précis dans sa mémoire exceptionnelle. S'il avait été invité à être membre de cette expédition c'était qu'il était connu comme alpiniste efficace et expérimenté et qu'une certaine de ses ascension avait, entre autre, contribué à cette réputation. Si je la raconte ici, c'est qu'elle donne une image assez parlante de notre ami. Le versant sud du Mont Blanc comporte quelques voies grandioses qui, à l'époque, n'avaient encore été que peu parcourues et prenaient en général une journée commençant au milieu de la nuit. De ces grandes voies, c'est celle de la Poire que Jean-Jacques et son compagnon avaient escaladée, mais tellement rapidement qu'ils étaient arrivés beaucoup plus tôt que prévu au sommet du Mont Blanc. Et là haut, Jean-Jacques peut-être un peu pressé comme ça arrive parfois, laissa son compagnon attendre au sommet une cordée qui allaient arriver de la voie Major et descendit seul, à toute allure la voie normale du Mont Blanc, sauta dans un train au Nid d'Aigle sauf erreur, alla récupérer sa moto à Chamonix et rentra à Genève. Il y arriva, même suffisamment tôt pour aller rejoindre des copains où l'Androsace avait l'habitude de se réunir et où la première question de ceux qui connaissaient son projet, fut bien évidemment "pourquoi t'a pas été à la Poire ? " "Mais j'y suis allé et j'en reviens " . Personne ne voulu le croire et il fallut attendre une confirmation venue plus tard de René Dittert qui l'avait vu depuis une voie à côté, pour qu'enfin ils y croient. L'expédition à l'Everest lui avait laissé de nombreux souvenirs, dont un particulièrement royal. Après leur victoire sur l'Everest en 1953 les Britanniques, très fair play en avait attribué la moitié du mérite à l'expédition suisse de l'année précédente. Et en 2003 tous les membres suisses furent même invités à une réception, célébrant, en présence de la reine, les 50 ans de cette victoire. Jean-Jacques qui était le seul de l'équipe encore vivant eut ainsi l'occasion, avec son épouse, de voir Sa Gracieuse Majesté Elisabeth II, et aussi de revoir le chef de l'expédition britannique auquel il profita de poser la question "c'est qui le Monsieur qui vient de me parler en excellent français" ? "Mais, c'est le duc d'Edinburgh, le Prince Philip, le mari de la Reine". Il est vrai qu'on voit rarement sa photo dans les magazines de montagne. Toujours attiré par l'alpinisme dans son véritable esprit d'aventure, Jean-Jacques a aussi organisé des expéditions en petit groupe, en Afghanistan, au Pakistan, au Perou. De vraies aventures, où la haute montagne, l'éloignement et les populations locales créent un dépaysement total. J'ai encore en tête le souvenir d'une de ces expéditions, dans l'Indu-Kush où, pendant environ trois semaines nous étions six copains, seuls à un camp de base, à trois jours de marche du dernier village, à tenter la deuxième ascension d'une montagne difficile. Du pur bonheur en comparaison des images qu'on voit actuellement du sommet de l'Everest. Pendant de nombreuses années, Jean-Jacques a été une source d'idées pour nous ses copains. L'été, nous nous rencontrions le jeudi soir au Salève, pour nous ressourcer après une journée de travail et faire des projets pour le week-end. Des soirées d'escalade qui se terminaient invariablement au bistrot de la Carrière et aboutissaient parfois, pour certains, à un rafraîchissement involontaire dans la benne de pelle mécanique qui servait alors de fontaine rudimentaire. Il faut dire que le milieu était assez chahuteur et si Jean-Jacques était souvent leader en montagne, il démontrait aussi une certaine aptitude à le devenir lorsqu'il s'agissait de mettre de l'animation soit à une fin de soirée à la Carrière soit au banquet de l'Androsace ! A la mauvaise saison nous nous rencontrions le vendredi soir aux "Tropiques" où Jean-Jacques arrivait presque toujours avec une bonne idée de course à ski ou d'alpinisme hivernal, idée qui finalement était souvent celle choisie. Dans les courses à ski il était toujours rapide, que ce soit à la montée ou à la descente et parfois aussi au sommet où il semblait même impatient de devoir attendre que les conditions de neige deviennent meilleures. Mais qui aurait eu l'idée d'attaquer la descente avant que Jean-Jacques ne s'y lance ! Avec les années, Jean-Jacques avait progressivement levé le pied de l'alpinisme et randonnées ou promenades dans la nature étaient devenues les sources d'un plaisir insensible à l'âge ou à la performance. C'est un bel exemple qu'il nous laisse. Il nous a quittés en pleine santé et, par bonheur à 93 ans, en totale autonomie dans tous les domaines de la vie courante : faire à manger, conduire sa voiture effectuer les paiements etc. mais, malheureusement, également dans l'autonomie à commettre une imprudence. Nous n'allons pas lui en tenir rigueur mais être reconnaissants pour tous les bons moments que nous avons eu la chance de vivre avec lui. Pour terminer, je lirai un message envoyé par le GHM (Groupe de Haute Montagne) qui est une association internationale d'alpinistes de nombreuses nationalités, allant du Mexique à l'Iran, et dont Jean-Jacques était membre depuis 1957. Son secrétaire est un ami qui connaît très bien Jean-Jacques, il nous écrit : "Je suis désolé par cette bien triste nouvelle. Elle me touche car Jean-Jacques était par ses réalisations alpines et son âge un des éléments les plus représentatifs de l'amitié franco-suisse entre les membres du GHM" A vous, Laurence, Eric, Françoise, Michelle, Eliane et vos enfants, nous, proches amis de Jean-Jacques, vous disons combien nous sommes tristes d'avoir perdu un des nôtres qui bien souvent a été le moteur de belles aventures et la source de moment joyeux. Dorénavant, nous en partagerons avec vous le souvenir lumineux. Adieu l'ami Pierre Hofmann 7.6.2019