Louis Dubost, tu étais le grand frère de ma carrière alpine.
Nous avons escaladé ensemble de nombreuses montagnes dans divers massifs du monde. Nous avons partagé des moments très difficiles, douloureux, parfois tragiques, mais aussi les joies inexprimables de l'arrivée au sommet d'une montagne vierge d'une équipe d'hommes rudes bouleversés aux larmes .
Nous nous sommes rencontrés au siège du CAF de Lyon dans la célèbre salle du 38 de la rue Thomassin. Louis était permissionnaire d'un service militaire effectué en Autriche . C'était en 1948. II avait déjà réussi dans les Alpes une série importante de belles ascensions qui le plaçaient dans le peloton de tête des meilleurs grimpeurs lyonnais. Sous l'égide de Roger Duplat, notre chef, véritable gourou, nous installions, sous tentes, des camps de montagnes en altitude, dans le but d'effectuer le plus grand nombre possible de courses pendant l'été . L'un de ces camps situé en dessous du refuge de la Charpoua fut baptisé " l'allée verte ". De cet emplacement, nous avons, en 1949, gravi un nombre important de sommets : face nord des Drus, traversée des Aiguilles du Diable, voie Mayer Diboua au Requin. Une cordée était née .
Fort de ces expériences, le Club Alpin, présidé par un homme remarquable, monsieur Jean Montel, envisagea dès 1950 de préparer une expédition en Himalaya. Le chef d'expédition choisi fut naturellement Roger Duplat. Retenus dans la liste des grimpeurs, Loulou et moi devions vivre une première expérience de cinq mois ensemble qui se termina tragiquement par la disparition de Roger Duplat et Gilbert Vignes à 7800 m sur le sommet de la Nanda Devi . Gilbert Vignes était un grimpeur hors-norme doublé d’un coeur d'or .Avec Louis Dubost, ils avaient forcé de nombreux passages de hautes difficultés dans la face ouest des Drus. Retenu par mon service militaire, et privé d’un but rêvé; c'est à travers leurs récits que je participais aux tentatives de cette fameuse paroi, conquise finalement par la célèbre équipe parisienne comprenant Lucien Bérardini, Guido Magnone, Marcel Lainé, Adrien Dagory.
Au retour de la Nanda Devi, une autre expédition se prépara, et en 1952, Loulou et moi étions compagnons de cordée pour réaliser plusieurs premières dans le Hoggar .
1954 : expédition dans le Caucase Iranien, dirigée par Claude Maillard et Bernard Pierre, ce dernier, célèbre dans le milieu alpin, pour avoir réalisé de difficiles ascensions dans les Alpes avec Gaston Rebuffat. Ensemble, Loulou et moi, gravissons l'Elbrouz, sommet de 5600 m et ouvrons une nouvelle voie sur l’Alam-Kouh 5100 m et le Demavend 5700 m.
En 1956 nous nous retrouvons au Groënland au sein d’un groupe dirigé par Claude Maillard, dans lequel se trouvait Claude Kogan, déjà célèbre, détenant le record du monde féminin d’altitude, ainsi que Zize Dubost sa première épouse, elle-même bonne alpiniste. La encore, Loulou, Claude Kogan et moi gravissons cinq sommets vierges .
En 1958, notre cordée part dans le Caucase russe avec un grimpeur d'exception guide de Chamonix, Léon Couttet. Nous gravissons ensemble l'Oushba 4620 mètres .
1966 nous réunissait en Amérique du Sud et sous la direction de Lionel Terray et de Guido Magnone nous gravissons le dernier sommet vierge de 6000 m dans la Cordillière des Andes : le Chacraraju .
En 1968 notre cordée atteignait le sommet du Koch-y-Lakhsh montagne vierge de 5700 mètres en Afganisthan .
1974, un souvenir népalais cette fois, en compagnie de Yannick Seigneur et Loulou victoire sur le Tawache, sommet vierge de 5800 mètres.
1975, émotions intenses pour nous deux : 24 ans après notre première tentative nous sommes au camp de base de la Nanda Devi avec un groupe de guides professeurs a l’ENSA qui vont tenter, vainement, de pallier notre échec de 1951 .
Après ces moments de grande communion d'âme avec nos deux camarades disparus, Louis Dubost continuera de grimper. Sa passion reste intacte a 78 ans. Il avait installé dans un hangar mitoyen de sa maison, avec la complicité de Jean Paul Paris, un véritable mur d’escalade lui permettant de s’entraîner quotidiennement. Louis Dubost avait tout réussi : une magnifique carrière alpine en parallèle avec une aventure industrielle exemplaire .
Sa disparition, après une terrible maladie voit s
'effondrer un pan complet de ma propre existence.J'ai une vive pensée pour toute sa famille, son épouse Raymonde, ses enfants : Christine, Jean-Yves, Hervé et ses petits-enfants qui l'ont beaucoup aidé dans ses derniers moments .
Adieu Loulou .
Paul Gendre